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Guérir par l'éveil

(Traité d'alchimie spirituelle)


Avant-propos: Le chemin de l'Eveil




L'Histoire révèle un formidable courant de résistance au passé, courant qui lui aussi devient vite récupéré par la mémoire — le neuf étant rapidement recouvert par la coutume qui en tue la portée révolutionnaire. Heureusement le vingtième siècle a engendré des percées remarquables dans la connaissance psychologique d'une part et dans la connaissance spirituelle d'autre part. Nous allons établir des passerelles entre des domaines relativement fermés pour le moment, pour formuler une synthèse libératrice. Les autorités contemporaines nous donnent une piste de l'authentique fraîche, mais elles ne sont pas d'ores et déjà reconnues par un grand nombre, alors que l'on se perd encore volontiers à suivre les principes recouverts par plusieurs siècles de légendes censés nous donner, au nom d'un héritage perdu, des clés pour aujourd'hui. Certes, si nous abolissons la succession du temps, nous voyons bien que les choses n'ont pas changé et qu'on cherche à toutes les époques — en tout cas depuis trois mille ans, des découvertes hors du monde décevant du passé et de ses structures. Les nouveautés révolutionnaires ont même pris une extension formidable au vingtième siècle, en Occident, alors que l'Orient possède les mêmes choses depuis si longtemps, que, sans les textes originaux aux traductions difficiles et contestables, nous suivons des chemins hasardeux ou trop conventionnels. Je m'attache à départager la psychothérapie de la quête spirituelle tout en soulignant leurs analogies afin de montrer, d'une part, qu'une thérapie peut devenir un tremplin adéquat pour une quête plus profonde, et qu'une ascèse évolutive, celle qui implique une consécration au mystère de l'être et des principes divins, peut bénéficier des prises de conscience que les thérapies produisent. Il y a bien quelque chose à guérir, quand on s'élance vers le sens ultime des choses, à l'appui des témoignages des anciens. Guérir l'âme, disaient les grecs. Guérir l'esprit, peut-on affirmer, si l'on considère que l'outil de perception supérieur, l'esprit, partagé par tous, fonctionne mal — embourbé dans des principes convenus, des mémoires vivaces, des mouvements compulsifs.


1 Première partie: Théorie de l'Alchimie Spirituelle



1 «Qui suis-je» est une vraie question


La transformation de l'esprit occupe le cœur des religions, suscite le besoin d'épuiser une vie sans signification profonde et interroge nos besoins. Toute personne qui cherche à guérir ou s'élever se préoccupe davantage des liens possibles entre le passé, le présent, et l'avenir, car l'exigence d'une voie souveraine se fait sentir. L'avenir est par définition informel et fantasmé. Sa substance vierge nous fascine, nous y projetons nos souhaits, nous aimerions le voir nous remplir de satisfactions, tandis que le passé est figé dans les formes, des formes qui nous poursuivent parfois alors qu'elles sont périmées, et que notre présent — ô combien chéri — est toujours aussi pérenne qu'insaisissable, comparable à l'eau devenant la glace figée de la mémoire, irréversiblement. Pour aller vers le Divin, ou, si l'on préfère pour commencer, vers une vie authentique, il suffit de renoncer à se rendre soi-même quelque part. Cela évite, en premier lieu, d'écraser le présent entre de la mémoire et des attentes. En second lieu, nous pouvons découvrir en cheminant que d'autres destinations méritent un détour, puis que le chemin lui-même est le but. La révélation qu'il n'existe que le présent n'est pas d'ordre intellectuel. C'est un ressenti sans limites, d'une douceur extrême, qui chuchote qu'il n'y a jamais eu que cela, ce moment éternel, dans ce petit enfant oublié, et qu'il n'y aura que cela dans le vieillard qui s'approche. La quête spirituelle et la procédure de guérison psychothérapeutique partagent ce paradigme, l'incertitude. L'ouverture est vécue comme meilleure que le statu quo, et le territoire le plus dangereux, le plus aléatoire, remplace la meilleure carte. Même si l'on ignore quand et comment les choses changeront, même si l'on suppose une amélioration seulement probable, cela vaut mieux qu'un présent bouché, soumis à des boucles répétitives insupportables, qui sabotent l'existence. On prend conscience que l'irruption de l'inconnu est nécessaire pour dissoudre des structures périmées, fragmenter des blocs de croyance, et une confiance sans objet accueille l'absolu du jour, avec toutes ses informations, pour y puiser des flammes.


2 Le paradoxe de la quête fermée


La quête orientée dans une direction dissimule les autres. On circonscrit à la vérité un domaine, et le tour de passe-passe est joué. On canalisera la curiosité, ce qui est stupide, mais simiesque, on hiérarchisera les valeurs, les maîtres, les doctrines, en fonction de quelques critères insuffisants mais bien élevés, et de beaucoup de réserves souterraines et impolies. Notre espèce préfère une impasse fléchée au chemin sans repères, où il n'appartiendrait qu'à nous de trouver les indices. Tandis que chaque avatar cherche seulement à rétablir la religion universelle et unique, les humains se laissent prendre aux formes et aux contextes et en profitent pour nourrir leurs vieux démons et guerroyer et détruire. Même les meilleurs, sous prétexte de chercher la vérité, ferment les yeux sur ce qui se passe à chaque instant, si le paysage déborde de leurs principes. On s'est payé des œillères de luxe, une philosophie, une religion, ou même une soi-disant «voie», difficile à suivre sans s'enfermer. En revanche, grâce à des œillères, on est sûr de ne pas se perdre, on suit le chemin supposé être le meilleur, et c'est sans doute pour cela que cette immense escroquerie de la vérité certifiée conforme réunit autant d'adeptes. On tournera toujours en rond, sur une immense ligne droite légèrement incurvée, et l'on peut mettre toute une vie pour parcourir ce cercle qui semble aller tout droit étant donné sa taille, et se retrouver au point de départ, l'ignorance. Quelle erreur de stratégie, fatale, que s'imaginer l'accomplissement spirituel subordonné à une direction.


3 Le non-agir, principe du lâcher-prise


Mais alors comment faire, s'exclame l'impatient ! C'est trop simple pour être vu. S'il y avait quelque chose à faire, il suffirait d'identifier cette chose, se mettre à l'exécuter, puis à en attendre les résultats. Et cela ne fonctionne pas ainsi. Ou alors pour de petites choses, bien sûr. Un cachet d'aspirine fait passer une migraine occasionnelle, mais ne soignera pas une dépression cachée qui déclenche, au moindre préjudice, un mal de tête inexplicable. Pour le fond du problème — atteindre la délivrance, gagner le repos irréversible du mental, recevoir la libération, selon l'énoncé traditionnel, il n'y a strictement rien à faire — si l'on entend par là cultiver un pouvoir décisionnel dans le contexte, ou faire des acrobaties quelconques. Il ne s'agit pas de changer de comportements, de remplacer le conjoint, d'essayer une nouvelle religion, ou de lire un livre par mois ou deux achetés intuitivement dans une librairie ésotérique. Je révèle ici un système qui permet une vision panoramique et verticale. La quête évolutive est purement intérieure, c'est une nouvelle procédure du moi par rapport à lui-même, qui se voue à un examen de soi-même ouvert, tourné vers des potentiels encore inexploités, toutes les perceptions étant ramenées aux exigences intérieures par l'observation. C'est là que le travail s'effectue. Ensuite, le non-moi, c'est-à-dire tout ce qui nous est extérieur, délivre des messages nouveaux, révèle des vérités insoupçonnées, inspire des mouvements imprévisibles, et s'accueille d'une manière absolue dans l'intégrité de chaque moment. Par la suite seulement, des techniques physiques, émotionnelles, mentales, pourront être mises à disposition et relier d'une manière plus juste le moi au non-moi. Si le travail préalable nécessaire n'a pas lieu, l'on ne pratique rien du tout. Le seul garant évolutif est l'engagement intérieur radical.


4 La navette entre le moi et le non-moi


La seconde analogie, entre la quête et la thérapie, est technique: les deux procédures inversent le mouvement de notre esprit. Voilà que le nouveau procédé se charge de saisir les objets intérieurs. On ne pense plus à Dieu mais à ce qu'Il représente pour nous dans l'ascèse spirituelle, comme la thérapie nous demande d'oublier l'autre (ce que nous croyons faire pour l'aimer ou le fuir), pour approcher réellement de ce qu'il représente pour nous. Un travail d'hercule puisque les affects placent l'autre au-dedans mais que nous continuons à le voir au-dehors. Le Seigneur des mystiques, Lui aussi, ne peut s'apercevoir au-dedans qu'au moment où le moi a renoncé à s'En emparer au-dehors. Nous avalons en permanence le non-moi pour en faire du moi, avec l'esprit, les émotions et le sentiment, et il ressemble à s'y méprendre à la nourriture. Nous pouvons éprouver des faims insatiables, difficiles à combler, de la quête du bonheur à celle du Divin, comme nous pouvons être saturés et ne plus supporter le contact avec l'autre ou le non-moi dans certaines circonstances. Il n'y a donc pas lieu de s'égarer dans des considérations métaphysiques pour aborder une voie quelconque, quels liens unissent le moi au non-moi, voilà la question, la seule. Par esprit, nous entendons non seulement le mental mais un organe invisible et holistique qui relie la totalité de notre être au non-moi. L'esprit s'enfonce donc dans la matière et devient le subconscient, c'est sa part cachée qui nous joue des tours et fait somatiser les préjudices émotionnels, et il demeure dans des régions que nous ne connaissons pas encore, comme les chakras supérieurs par exemple. Il œuvre par lui-même et sans notre assentiment en dessous de notre état de conscience, par des raccourcis qui le rattachent au corps émotionnel, puis physique, et au-dessus par des procédures secrètes, dont certaines ont lieu pendant le sommeil, celles qui transforment par exemple notre aura, ou nous donnent des intuitions supérieures, quand le cerveau est rompu à utiliser l'intelligence vers l'intérieur et la connaissance de soi. Vu toutes les couches que le moi comporte, du subconscient le plus sombre aux souhaits solaires les plus purs, et toute la diversité du champ du non-moi, il nous appartient d'être clair sur cette question de la navette entre le moi et le non-moi, et d'en faire le principe pour mener une ascèse autant que pour progresser en thérapie. L'esprit se renouvelle en permanence, à toute vitesse, ce qui lui permet de somatiser ou de se libérer à n'importe quel moment dans un délai rapide. En ce qui me concerne c'est le contact avec le supramental qui m'a définitivement montré ce qu'est l'esprit, dont les pouvoirs sont beaucoup plus larges que ce que l'humanité s'imagine. Son rythme nous échappe. Il nous traverse de part en part, coordonne les sensations qui nous livrent au non-moi avec le sentiment global du moi.

Je défends l'hypothèse suivante dans ce livre: L'esprit qui nous habite possède une autonomie qui nous échappe en partie, et c'est donc lui qui gouverne notre existence à certains moments, quand le moi sort du cadre qui lui est imposé par la nature. Autrement dit, si nous faisons des erreurs, l'esprit se met à fonctionner mal automatiquement, à notre insu, et il s'ensuit les troubles de la personnalité échelonnés entre le diagnostic psychiatrique et le diagnostic pathologique. Entre l'état de «folie» et celui de la maladie physique, existent un nombre considérable de troubles mentaux, plus ou moins supportables, plus ou moins avoués, ces troubles qui légitiment autant les cabinets de psychanalyse que de psychothérapie. Ces problèmes d'origine mystérieuse qui suscitent la consultation compulsive de voyants, de devins, d'astrologues souvent peu expérimentés. Si nous considérons que l'esprit descend dans le corps, nous avons la cause des maladies psychosomatiques, si nous affirmons qu'il monte sur des plans subtils et invisibles, nous avons l'explication des insights, des illuminations, des miracles produits par les saints. Pour cadrer toute cette étude, nous avons en tête le prédicat suivant qui trame tout notre discours: l'esprit se laisse approprier par le moi jusqu'à un certain point. Au-delà, il fait cavalier seul et peut se permettre de détruire l'organisation du moi, le sentiment de l'identité, par tout ce qui est à sa disposition, dérèglement des organes, du cerveau, dysfonctionnement cellulaire, turbulences des courbes hormonales, dépression, etcetera.

Dans l'optique transcendante qui est la nôtre, la scission entre le moi et l'esprit, qui provoque des troubles, n'a pour but que de rétablir une unité supérieure, ce dont convient autant le psychanalyste athée, que le psychothérapeute holistique, ou le maître spirituel. La rupture du moi et de l'esprit entraîne la souffrance, et c'est donc l'occasion, puisque le sujet est poussé dans ses retranchements, pour qu'il subisse sans échappatoire la question prise au sérieux par les grecs de l'antiquité et ridiculisée par les matérialistes du vingtième siècle: je ne sais pas d'où je viens ni où je vais. Certains citoyens cultivés finissent par ne plus comprendre un beau matin, pourquoi la vie ne leur obéit plus — tant leur moi est structuré et habitué à la victoire. Ils se sont toujours imaginé que l'esprit était à leur disposition, leur propriété, et qu'ils pouvaient en faire ce que bon leur semble. Que nenni ! Leur sentiment d'échec, puisqu'ils le cultivent, descend jusqu'au subconscient, qui somatise. L'information mentale est passée dans une autre juridiction, là où les choses se passent autrement, là où la pensée n'a plus de pouvoir. Une puissance colossale fait son travail, signale, avertit, déclenche des troubles, puis des pathologies.

En revanche, ceux et celles qui savent qu'il n'y a rien à réussir ou échouer, mais qui font de leur mieux, sans stress, pour rester en coïncidence avec le Tout, somatisent moins. Ils ne sont pas attachés aux fruits de leurs œuvres, comme le dit la bible hindoue, la Gûita, et tandis qu'ils se sentent moins coupables d'échouer, ils sont aussi moins vaniteux quand les exploits les accompagnent. Leur subconscient est moins chargé de scories, car ils dramatisent moins. L'art de la santé équivaut peut-être à celui de vivre avec un ego minimum, ce que laissent entendre les taoïstes. Aujourd'hui, parce que la Terre change d'ère, l'individu en crise, par la même occasion que celle qui rétablit la santé peut dissoudre son ego si c'est nécessaire pour guérir. Le tournant évolutif se prépare autant dans la souffrance que dans la plénitude.


5 Saisir les objets intérieurs


Les désordres mentaux obligent à revenir sur ses pas, à chercher une autre place, à transformer sa personnalité. Mais la mentalité ordinaire est friande de l'objet, et n'a pas lieu de s'en lasser, avant de sévères avertissements. Si nous n'apprenons pas à inverser le mouvement mental auprès d'un maître spirituel, d'un sage, d'un ancien, d'un chaman, ou d'un thérapeute, l'intelligence qui anime notre esprit est peu utilisée, elle s'empare toujours des objets auxquels elle s'identifie, et elle ne sait rien faire d'autre. Nous allons vers le gratifiant. Le petit moi obsessionnel et héritier de toute la chaîne évolutive défend son territoire avant tout, cultive ses désirs et évite de voir en face l'origine de ses craintes. Il attend de voir dans ce qui se passe ce qu'il veut voir. L'homo sapiens sapiens veut choisir sa réalité comme un gâteau dans une pâtisserie, celui-là et pas un autre, cette réalité-ci et surtout pas celle-là. Et si l'univers n'était pas qu'une pâtisserie?

Si nous lâchons les objets, abandonnons la convoitise, comme le stipulait Bouddha, l'intelligence pure du moment n'a plus aucun limite.


6 Accepter et reconnaître l'ignorance pour s'en libérer


Etre ignorant c'est être séparé. Séparé de quoi ! Les hypothèses ne manquent pas, séparé de son identité véritable, séparé du Tao, du Soi, se sentir extérieur à l'unité réelle de cet univers insécable dont nous faisons partie, se sentir entre quatre murs car trop de choses nous échappent pour que notre perception nous rassure sur ce que nous sommes réellement, séparé de son soleil intérieur, endormi, qui rayonne au diapason du soleil mystique, séparé de la Vérité, avec un grand V, qui fonde les principes du monde dans leur conformité parfaite, séparé de son potentiel de lumière. Bref, séparé. Si nous connaissions l'objet dont nous sommes séparés, on courrait vers lui, on le capturerait et on le saisirait, et le tour serait joué, en quelques mois ou deux ou trois ans. Le temps de bien définir l'objet manquant et de l'obtenir. Mais acheter à crédit la connaissance, la non-séparation, est impossible. Deux heures obligatoires de méditation par jour, après quoi on remet l'uniforme ordinaire, ou douze ans de chasteté sans écarts, période d'abstinence réputée pour fournir la libération dans certaines doctrines millénaires du sous-continent indien. La vénération, qui devient vite mécanique, d'un maître à qui l'on va faire des courbettes, et que sais-je encore.

Le problème est tout simplement que la connaissance n'est pas un objet — mais un état.

Aparté autobiographique


Poursuivre donc un objet qui n'existe pas, vous conviendrez que c'est absurde. J'ai moi-même poursuivi la Vérité comme un trappeur du Canada qui pour survivre campe dans la neige pour piéger quelques animaux à fourrure, et ce n'est pas tous les jours «de la tarte». J'avais dix-huit ans, et j'étais rongé par un manque, et toujours sur la piste. Je me suis acharné à réunir les moindres indices de la Transcendance et de son moyen d'accès. Comme un policier sur la piste d'un serial killer, qui n'en dort plus de la nuit car l'assassin en est déjà à sa dixième victime en trois semaines, dans son propre quartier. En décembre 1967 je fus transporté dans un autre état de conscience, extraordinaire, où tout se tenait, et c'était dynamique et plein de lumière, tout était réponse. Rien à voir avec ce que je connaissais avant. Puis cela commença à diminuer au bout de trois jours, et quatre jours plus tard, j'avais retrouvé l'état normal. A la fin de la semaine, il ne restait plus rien. Toute ma vie fut consacrée, dès lors, à retrouver cet état. L'année suivante, j'étais pensionnaire en Hypo-khagne et me moquais de la plupart des cours, que je n'arrivais pas à suivre tant ils me semblaient creux. Je passais des heures chez les bouquinistes, près du lycée. Comme un amoureux éploré, ne pouvant plus manger ni dormir, et qui s'installe devant la fenêtre de sa bien-aimée qui le hante jour et nuit, j'assiégeais le mystère. Comme une mère qui recherche son bébé kidnappé, prête à prendre tous les risques. J'ai même, un peu plus tard, poussé mon cerveau dans ses retranchements avec quelques substances aussi illicites que sacrées, en ayant pris la précaution de lire Henri Michaux, et en sachant qu'Arthur Rimbaud naturellement, n'avait pas si bien fini que cela, comme Artaud d'ailleurs. Bref, j'ai cherché dans toutes les directions, en mélangeant quelque temps, dans une sorte de confusion esthétique fascinante, le paranormal, le magique, l'occulte, l'ésotérique, et le traditionnel. Le fameux livre de Bergier, le matin des magiciens, sorti peu avant dans une prestigieuse collection, m'avait ouvert la voie en 66. Tout me fascinait, tout était mystère, plus rien n'était établi. Si je ne me suis pas perdu, c'est que je l'étais déjà. Je ne pouvais que rester égaré, ou au contraire trouver la sortie. Comme les détenus à vie qui s'échappent, je n'avais plus rien à perdre. C'est ce qui m'a sauvé. Je ne pouvais pas me tromper, car j'étais du matin au soir, dans l'erreur absolue — celle de l'ignorance. Quand on sait qu'on est vraiment dans les Ténèbres, on suit la moindre trace de lumière. J'ai eu la chance de pouvoir descendre aussi bas: là où le ciel le plus bleu est obscur car il manque quelque chose, l'union, l'unité, l'état de non-séparativité. Enfin, le 4 janvier 1974, le voile se déchire. Il était temps. Je ne vous dévoile pas mon itinéraire pour qu'il serve d'exemple, de modèle. Chacun possède le sien, inimitable, et maintenant que j'ai passé cinquante ans, je commence à admettre que ma précocité spirituelle demeure un fait exceptionnel, charge à moi d'en faire profiter les moins expérimentés. Mon chemin sert à dévoiler des paradoxes. Même l'individu sincère, qui brûle du feu de la vérité, s'y prend mal. Il poursuit ce qui n'existe pas, s'acharne à saisir le vent, à nommer ce qui n'a pas de nom, à capturer ce qui n'a pas de forme. Le mental nous pousse à nous forger des représentations, à choisir des valeurs, à rêver d'absolu avant de l'étreindre. Entrons dans le jeu.


7 Le Soi finit par se manifester


La connaissance n'est pas un objet, et cependant, nous nous attendons à l'apercevoir ici ou là, nous nous mettons en cause quand elle nous résiste. Les maîtres qui s'acharnent à la décrire disent des choses incompatibles; incompatibles vu d'en bas, naturellement. «C'est l'absolu et vous êtes cet absolu», dit le marchand de tabac libéré de Bombay. «C'est un vide immense qui contient les phénomènes», disent en chœur les bouddhistes professionnels. «Quand on s'y trouve, il n'y a plus rien à atteindre», déclarent les yogis du bord du Gange, qui lisent distraitement les Upanishads. «C'est le silence, l'haleine de Dieu, son souffle», dit le mystique chrétien. «Cela n'existe pas» clame celui qui s'est acharné toute sa vie à trouver cette chose, et qui une fois trouvée, s'y perd dans une paix indicible. «C'est ce qui échappe à toute représentation» énonce Lao-Tseu, pour qui «le principe caractérisé n'est pas l'immuable Tao». La connaissance? «Là où il n'existe plus l'ombre d'une dualité» précise un grand maître du Tch'an. «C'est ce qui permet de ne plus se réincarner» espèrent les pieux chercheurs qui souffrent, et qui voudraient quitter la Terre la tête haute, les yeux fixés sur la sortie de secours. Nous ne pouvons pas nous emparer de la connaissance, ce n'est pas un objet, cela n'a pas de forme. L'éveillé voit autrement, il a traversé le miroir. . . et peine à indiquer le passage. Certains font des poèmes mais pas tous. Dante, Kabir, Rumi, Gilbran, Kayyam, et quelques autres ont écrit des chefs d'œuvre, qu'ils fussent du Nord ou du Sud, de l'Est ou de l'Ouest. Certains montrent le chemin, d'autres pas. Certains sont chastes d'autres non. Certains enseignent des techniques anciennes, chinoises, hindoues, d'autres font leurs séminaires à partir de leur expérience, d'autres, carrément, se cachent ou se taisent. Certains jettent à la poubelle la psychologie, moi, je lui fais des caresses. La connaissance ! C'est difficile d'en parler. C'est un état de conscience qui permet au moi d'être tout à la fois, ce qui implique qu'il doit être en même temps rien. On ne peut pas être Tout, si d'abord on n'est pas devenu rien. Car Rien et Tout, c'est exactement la même chose. Plus de forme, plus d'objets, plus de distinctions. Plus de bien ou de mal, de souffrance ou de plaisir, mais un seul abîme qui rend toutes ces choses égales, un manque brûlant, intransmissible. Et le manque absolu débouche sur la plénitude absolue. Evidemment. Sri Ramakrishna porte la trace sur son dos du coup de fouet donné au bœuf, à côté de lui. C'est normal, à ce moment-là il était le bœuf. Ramana Maharshi est prévenu qu'un assassin ne pourra plus commettre de méfaits. Peut-être même qu'il est mort. «Oui, mais il était propre», remarque-t-il, rien ne pouvait l'empêcher d'être en sympathie avec cet homme, puisque, d'une certaine manière — c'était lui. Si nous ne comprenons pas que la connaissance est un autre mode de perception du Réel, aucune transformation digne de ce nom ne peut s'opérer. Autant rester dans le mental et appeler libération n'importe quelle modification esthétique, n'importe quelle envolée poétique. Le désir personnel de la libération, qui caractérisait le cheminement appelé spirituel, est aujourd'hui obsolète. C'est la Terre qu'il faut libérer, c'est Elle qui cherche des instruments sincères. Il y en a toujours eu des chercheurs d'ego supérieurs, croyant s'emparer de la connaissance en s'acharnant aux exploits, aux pratiques et aux commentaires, mais incapables de renoncer à leur ambition de s'emparer du Réel. Lao-Tseu les dénonçait déjà dans le chapitre 55, marche sur la pointe des pieds pour te grandir, mais tu n'iras pas loin. Ceux-là deviennent de faux maîtres. Ils corrompent les interprétations des Ecritures. Le seul moyen de les éviter, d'une manière radicale, c'est de devenir son propre maître, de pratiquer l'alchimie.

Se suivre soi-même, c'est facile puisqu'il n'y a pas de chemin, en combinant psychothérapie et ascèse.


8 Commençons par le commencement


Toute cette étude va montrer que nous personnifions des forces qui nous manipulent. Mais, réellement, elles ne sont pas nous, elles ne sont pas vous, la libération est possible. La psychologie profane, la tradition astrologique révisée vingtième siècle, la psychanalyse, la vision traditionnelle de René Guenon, les principes de Lao-Tseu, le tout couronné par des allusions à un passage évolutif nouveau, chanté par Sri Aurobindo, Mère et Satprem — voilà ce que j'utilise pour dépecer la nature et la rendre à l'Esprit. Cet ensemble paraît hétérogène, mais éclaire notre aspiration à libérer nos conditionnements. Trouver une identité pure, vivre le soi, et collaborer par la transparence à un nettoyage profond de nos mécanismes de perception — jusqu'à régler des questions laissées en suspens par nos ancêtres, des questions sans réponses qui parasitent certains de nos organes, tel est le but de l'alchimie spirituelle. Tout est à transformer et c'est le prix de notre survie, ou de celle de nos petits-enfants. Jamais de mémoire historique les forces évolutives et régressives ne se sont livrées à de telles manifestations guerrières. Nous entrons dans la période du quitte ou double, du banco, du tout ou rien, de l'instrument divin ou du singe acharné.


9 La stratégie évolutive


Les ruses des pouvoirs archaïques se débrouillent parfois pour terrasser notre foi, blesser notre sincérité, étouffer nos aspirations. Cependant, par un procédé mystérieux, j'ai l'impression qu'on peut toujours remonter après avoir touché le fond, et il s'avère qu'il peut s'agir de la stratégie évolutive par excellence — celle qui n'invente rien avant que ce ne soit nécessaire. Toucher le fond nous montre en face le passé superflu sous peine de mort. L'esprit peut s'ouvrir, après l'échec, à une interrogation plus poignante, mais aussi plus libre, qui l'emmènera dans les labyrinthes intérieurs du moi, cadenassés jusque-là par l'habitude.

L'impasse est le fait évolutif majeur qui oblige la recherche de nouvelles stratégies, de pistes inconnues ou abandonnées.


10 Voir dans l'obscurité


La psychologie moderne a, depuis Freud, établi qu'il était justifié de reconnaître des insatisfactions existentielles si elles se présentaient. Sur le divan, on retrouve ce que l'intelligence soumise au moi veut éviter de voir, les mauvais moments, les attouchements indélicats du père, les cris sexuels de la mère qu'on prenait pour de la souffrance, d'autant que papa, parfois, pendant la journée disputait maman jusqu'à ce qu'elle pleure. Restons simples.

Le non-moi est parfois indigeste.

Mais tandis que l'estomac, lui, sait vomir, notre esprit ne sait que refouler, et fait semblant d'oublier. Comme l'esprit est fait pour être conscient, les procédures de mise à l'écart des perceptions douloureuses laissent des traces dans le fonctionnement même du cerveau. C'est une manière crue et directe de voir les choses, mais tout est là. Le néocortex veut l'emporter en étant au courant de tout, et faire évoluer par la prise de conscience, le néocortex accepte toutes les informations et va profiter d'apprendre des faits qui ont été préjudiciables au moi, même les pires. Mais certains processus des cerveaux inférieurs trouvent plus pratique, pour favoriser la survie, de cacher ce qui pourrait faire peur, de mettre à l'écart des blessures fondamentales, de dissimuler, en quelque sorte, des dossiers dangereux. Comme on ne peut pas tout digérer, l'indigeste nous poursuit plus tard. Les enfants peu caressés et peu aimés peinent à trouver leur place. Les ruptures violentes, à l'age adulte, fragmentent le moi, car il se sera fondu et confondu avec l'autre, qui appartient au non-moi, en dépit du fait qu'on l'aura avalé par le sentiment. Certains parents ne guérissent jamais du décès d'un enfant, et nombre de divorcés ne se remettent que dix ans plus tard d'une séparation, dix ans de «foutu», alors que les meilleurs s'en sortent avec trois seulement. Ces faits demandent non seulement d'être observés, mais ils exigent d'être compris, et les comprendre c'est voir que nous ne sommes pas maîtres du temps. Non seulement le passé laisse des traces traumatiques, à travers les chocs et les déceptions lourdes, mais il engendre la nostalgie, s'il a été meilleur que le présent. D'où les séquences inopportunes de mémoires qui viennent faire de la friture sur la ligne de l'immédiat. Quant à l'avenir, pour ne pas en avoir peur, il nous faut le courtiser outre mesure. La durée, ce moyen d'accès suprême au non-moi, n'est pas réellement manipulable, et tous nos efforts pour nous l'approprier selon nos propres modes sont à certains moments pris en défaut.

Et nous les éveillés disons toujours la même chose: le moi s'identifie au non-moi, alors autant se livrer à l'univers entier, autant accueillir le non-moi comme partenaire absolu, au prix, que certains jugent exorbitant, de distinguer réellement ce que nous sommes de ce qu'il est, lui. Au tarif de respecter l'esprit en le laissant investir les émotions, en lui laissant le droit de monter vers les souhaits solaires de l'être. Alors l'identification rampante et inévitable, l'identification terre-à-terre au territoire et à ses fétiches, qui caractérise l'espèce, est remplacée par la connaissance par identité. Même si le processus est lent entre la prise de conscience évolutive et les premiers résultats, c'est la procédure cosmique par excellence, c'est le prochain pas de l'évolution. Être tout, sans être identifié à rien, et le supramental est capable de produire cette conscience-là. L'ego en prend pour son grade, mais voilà l'intelligence suprême qui œuvre en nous car nous ouvrons la porte. Si l'on n'ouvre pas immédiatement dans l'intention d'aller jusqu'au bout — de devenir un sage, comme on dit en langage courant, entrebâillons pour une simple thérapie.

Guider l'esprit vers ce qu'il ne veut pas voir, constitue la procédure essentielle.


11 Rétablir l'accueil du présent


Depuis les années 60, les américains, toujours plus pragmatiques que les praticiens du vieux continent embarrassés par leur culture, ont établi de nouveaux traitements qui permettent de venir à bout de certaines compulsions (répétitions négatives incoercibles), sans même, et voilà ce qui horrifie les freudiens, déterminer leur cause. On retrouve parfois un caractère rituel et magique dans les thérapies comportementales de Palo Alto, comme si, sans le préméditer, des psychiatres rationalistes avaient retrouvé la piste efficace des anciennes traditions ! Qui plus est, les résultats sont parfois rapides. En fait, par des moyens techniques simples, ils se débrouillent pour faire regarder à nouveau le sujet dans une direction (extérieure et psychologique) qui était devenue tabou en contournant les barrières ! J'ai été épaté par le concept: trouver des procédures efficaces qui ne tiennent même pas compte des circonstances précises du passé pour traiter la rémanence obscure. J'en étais encore à la pensée symbolique issue de la psychanalyse et de Jung, et Watzlawick et ses compères traçaient une autre voie qui s'affranchissait de tout ce bagage analytique, quasi sacré en Europe ! Après mûre réflexion, je suis convaincu qu'on peut rétablir le regard dans une direction interdite, celle dont l'esprit se sera détourné pour se protéger après un accident ou une suite répétitive du même préjudice, par toutes sortes de moyens et de stratagèmes. L'esprit est infiniment fluide. Qu'on le force à regarder à nouveau là où c'était interdit, quitte à raviver les blessures pour mieux les cicatriser ensuite (la méthode symbolique de la psychologie traditionnelle), ou qu'on se débrouille empiriquement pour rétablir la confiance dans un secteur où elle était perdue par suite de traumatismes, l'essentiel est de libérer le potentiel évolutif, d'interrompre le disque rayé. Le moi structuré involontairement par des événements qui s'enfoncent dans le subconscient, à notre insu, fabrique des modes de perception parasites. Et comme tout le monde a pris l'habitude de trop structurer son esprit, c'est-à-dire de l'utiliser en circuit fermé, au lieu de le laisser faire, l'esprit s'asphyxie.

D'où l'apparition de petits logiciels saboteurs pour refuser les réalités qui nous gênent ou nous dépassent, pour vivre dans l'économie, comme si l'air était raréfié. Nous sommes tous parasités par des réactions fausses dans certains secteurs, ou des projections subjectives dans d'autres. Mais en accédant à un présent plus vrai, moins chargé de nos pensées et de nos émotions, notre esprit respire, et, s'il avait été étouffé, reprend la force de vouloir continuer à se dégager.


12 Paracelse et Kepler résistent à la vision Supramentale. Les conditionnements astraux existent


Mes études personnelles en psychologie m'ont passionné, et j'en attendais des lumières pour mieux exercer le conseil astrologique (humaniste) que j'ai commencé à pratiquer en 1985. Je jugeais d'ailleurs ce travail nécessaire pour comprendre en profondeur les matériaux de diagnostic et les correspondances entre les positions planétaires et les tendances psychiques. Je me délectais de lire Rudhyar, pionnier de l'astropsychologie, dont je dévorais les ouvrages d'autant mieux que lui aussi voyait, comme moi, en Sri Aurobindo, le maître de sagesse de l'avenir. J'avais besoin d'une cartographie complète à laquelle je puisse ramener chaque cas particulier défini par le thème de naissance. J'étais satisfait de la systémique astrologique, qui demande des qualités intellectuelles supérieures pour être manipulée, puisque tous les matériaux de la vie peuvent être hiérarchisés d'une manière précise par le simple calcul de l'horoscope, pratique jubilatoire, profonde, qui exige la patience d'un philosophe grec, un amour de la réflexion peu ordinaire. J'étais surtout intéressé par l'idée de dédouaner l'individu de ses faiblesses en faisant porter le chapeau aux antagonismes dynamiques qui surgissaient de la lecture du thème, antagonismes naturellement disposés à créer des conflits décisionnels, à monter donc l'un contre l'autre le conscient et l'inconscient.

Au lieu d'incriminer la personne, je voulais rendre responsable la nature de sa personnalité, et inviter un moi plus profond à prendre en charge la transformation des tendances psychologiques.

La menace de voir l'esprit déchanter, puis attaquer le moi en certaines circonstances, est comprise dans le fait même de naître. La culture moderne évacue cette vérité, car elle a besoin de s'imaginer que l'homme n'est pas fragile, comme si cela pouvait lui donner une force supplémentaire. Néanmoins, vu que tout le monde n'est pas si heureux que cela en Europe, on a fini par reconnaître les difficultés psychiques comme bien réelles tout en incriminant l'éducation et le contexte comme facteurs coercitifs et pénalisants. La culture traditionnelle, en Asie, par l'hindouisme et le bouddhisme, incrimine en premier lieu le karma pour légitimer les difficultés existentielles, puis le samsara, la vie pleine de l'illusion du désir, de la peur, et de la mort. En réalité, l'être humain est fragile parce qu'il est soumis à la loi de l'équilibre. La fragilité le mobilise, l'accompagne, l'inspire, lui rend service. La fragilité l'oblige à s'adapter sans cesse. L'être humain n'est pas le cousin germain du rhinocéros.

Quatre facteurs indépendants les uns des autres se combinent pour créer toutes sortes de liens entre le conscient et l'inconscient. En premier lieu, ce qu'on reçoit du moment lui-même prédomine pendant la petite enfance où le cerveau, l'esprit, le moi, sont meubles. Mais quel que soit l'événement proprement dit, sa répercussion, son interprétation et ses conséquences seront largement formées par le caractère qu'on trouve dans la signature astrale, c'est-à-dire les énergies de l'univers au moment de la naissance du sujet. L'horoscope ne contient pas tout le caractère, puisque les gènes le définissent en partie, et pour le moment nous n'avons aucun moyen d'évaluer la prépondérance respective de ces deux facteurs. Enfin, il serait juste de considérer que la fin de l'existence, à partir de cinquante-sept ans environ, permet un travail de fond sur l'esprit dont nous sommes dépositaires, et laisse affleurer des contenus karmiques à rectifier. La preuve formelle que le conditionnement génétique est très puissant réside dans l'apparition de maladies génétiques à un âge avancé, autour de quarante ans, où des bombes à retardement se manifestent, puisque des pathologies s'emparent d'un corps jusque-là sain. Tous les jours s'accumulent de nouveaux dossiers et de nouvelles sciences qui montrent que notre propre esprit est porteur d'informations ancestrales.

Nous insistons plus particulièrement dans cet ouvrage sur les tendances psychologiques formant un septénaire identique à celui qu'utilise l'astrologie, un ensemble gouverné par la fonction solaire, car c'est finalement sur ce facteur là que nous avons le plus de prise.

Nous pouvons libérer a posteriori notre enfance, nous pourrons peut-être, en particulier avec l'énergie supramentale, transformer notre ADN, nous pouvons avec difficultés retrouver nos scories karmiques, mais dans le champ de notre structure énergétique d'incarnation, nous avons les pleins pouvoirs, et l'horoscope la symbolise.

En poussant l'analyse, une organisation fabuleuse se manifeste. Chaque tendance psychologique est en correspondance avec un organe particulier, d'où la révélation intuitive qui s'ensuit pour l'alchimiste: il y a de fortes chances qu'une tendance psychologique défectueuse (nous verrons plus tard comment les caractériser) se manifeste par l'organe malade qui lui correspond. Certes, il n'y a dans ces considérations rien de renversant ni de neuf d'un point de vue traditionnel, mais je vous invite à réfléchir ces phrases toutes simples dans un but pratique, celui de pratiquer l'alchimie évolutive. Nous sommes constitués de couches, et chacune possède une certaine autonomie. La portion consciente de notre perception n'embrasse pas la totalité de ce que notre esprit traite. Un travail parallèle s'effectue en nous, responsable de notre santé, de notre état émotionnel, de notre condition physique. Notre mental n'investit qu'une petite partie des échanges et des informations entre le moi et le Tout. Les hindous disent bien que la prakriti, la nature naturante, enserre le témoin, le purusha, en définitive le Soi, dans les liens de la vie, le samsara, l'énergie vitale répétitive avec ses mamelles de peur et de désir.

Je voulais que la personne sortant d'une consultation avec moi, toujours aux prises avec quelque difficulté ou défi, se sente victime d'une part, (sous le joug des sens comme le dit la gûita), pour l'alléger de sa culpabilité, mais soit résolue d'autre part à mettre fin à ce qu'elle subissait par les outils que je lui fournissais — puisque le plomb se change en or, dès que la lune est au service du soleil. Il me fallait donc la convaincre qu'elle était multiple, et que, sans une vigilance accrue, elle ne trouverait pas le centre, l'unité, le Moi pérenne avant qu'il ne s'écartèle dans l'éventail des tendances psychologiques — reliées entre elles par des contrats souterrains, obscurs, et souverains, impériaux par leur autorité.


13 Le subjectif et l'objectif se chevauchent


Améliorer mes connaissances me servit dans la pratique, mais j'eus aussi la surprise de transformer ma propre vision de la subjectivité et de l'objectivité, et de voir qu'il existait des états intermédiaires nombreux, des teintes. Nous sommes chacun appelés à déformer la réalité dans certains secteurs, d'où la rectification qui s'impose, en psychothérapie ou dans la liberté de l'ascèse. La tradition l'a toujours dit, qu'il fallait rectifier le tir pour se soustraire aux survivances animales, mais aujourd'hui ce sont les raisons pour lesquelles le faire qui changent. La Terre évolue rapidement et nécessite des individus conscients pour lui permettre un passage évolutif inconnu. Beaucoup d'êtres humains veulent s'améliorer parce qu'ils participent de l'incarnation. L'idée de sauver son âme, celle de découvrir la vérité, paraissent éloignées si l'on ressent profondément les menaces qui pèsent maintenant sur la Terre. C'est l'urgence du sauvetage qui appelle aujourd'hui les mesures qui se développent, des progrès spirituels rapides pour ceux qui aiment la Terre, des régressions profondes pour ceux qui s'accrochent aux matériaux obsolètes, la défense du territoire, l'incarcération subjective dans une religion ou une philosophie fermées à l'altérité.

Je vous fais part de ces découvertes, car il est probable que vous vivez des conflits entre le subjectif et l'objectif. Si nous acceptons le subjectif sans renoncer le moins du monde à l'objectif, une nouvelle intelligence de soi et du non-moi se manifeste, et investit sans peur nos comportements et nos structures psychologiques. C'est le seul moyen de continuer à faire confiance aux émotions, qu'on suspecte d'un grand nombre de maux sous prétexte qu'elles sont par trop subjectives, ou qu'elles se manifestent souvent sans l'assentiment du moi. Il s'agit de les accueillir quand elles se manifestent, mais les cultiver est une erreur. L'émotion pure s'arrête d'elle-même après avoir donné une information.


14 De la suprématie du non-moi


Dans n'importe quelle discipline, tout auteur tire la couverture à lui. L'univers psychologique est si vaste que chacun peut y puiser des règles conformes à ce qu'il recherche, à ce qu'il croit ou tente de montrer. Je me suis même amusé à monter les thèmes astrologiques de naissance de Freud, de Jung, d'Adler, pour me rendre compte que la psychanalyse était une véritable auberge espagnole, reflétant le visage intellectuel de ses fondateurs. Ce fut une expérience fascinante, comme si le freudisme était une projection, en majeure partie, des énergies du thème natal, et pareil pour les deux autres compères. Comme le champ intérieur était resté vierge d'investigations en Occident, en tout cas d'une manière profane, des hommes fort différents apportèrent leur pierre (subjective) en découvrant quelques règles objectives chacun, éloignées les unes des autres. La théorie sexuelle, à laquelle Freud voulait tout ramener, est déjà contenue dans sa propre vision du monde, profondément marquée par l'axe Taureau/Scorpion, celui des instincts, largement prépondérant, comme si le moment de la naissance avec ses énergies propres, avait en quelque sorte été régurgité par son dépositaire sous forme intellectuelle. Avec son génie incontestable accompagné des angles morts correspondants. Cette expérience astrologique ne cessa de me pousser à réfléchir sur la capacité à tirer de notre manière d'être particulière de réelles vérités objectives. Peut-on découvrir le regard qui préfère voir ce qui est plutôt que voir ce qu'on croit, ou voir ce qu'on attend?


15 Le retour au ressenti


Nous souffrons parce que nous utilisons des grilles préconçues d'interprétation: les événements se jugent en termes d'échecs et de réussites, mais au moment où nous les vivons, ils constituent seulement une manière parmi tant d'autres d'être reliés au non-moi. L'échec et la réussite ne sont pas des faits, mais des interprétations fermées saupoudrées d'euphorie ou de ressentiment. L'échec ne nous coupe pas du monde autant qu'on se l'imagine et le succès n'est pas une panacée. Les attacher à leurs répercussions émotionnelles est une erreur. On devrait pouvoir provisoirement souffrir d'avoir manqué quelque chose, et cela devrait passer rapidement, sans nous arracher au rythme du mouvement vital. On devrait savoir digérer l'échec avec l'esprit, d'autant qu'on en comprend facilement la source, et transmettre cette information en aval pour calmer le préjudice émotionnel. Oui, on devrait, ce serait dix fois moins pénible, mais c'est un vœu pieux, l'espèce humaine dans son ensemble ne sait pas faire cela. Les taoïstes savent faire, et quelques autres qui se penchent réellement sur leur vécu, et leur être, et qui jouent à ne plus les confondre.

Et comment voulez-vous que les prises de conscience s'effectuent si le cadre des représentations demeure conforme au passé, si tout est codé en échec, réussite, gratifiant, non-gratifiant, alors que les événements ont force de loi par eux-mêmes et qu'ils sont susceptibles d'amener des milliers d'autres significations et prises de position?

L'ouverture évolutive transforme le moment en une situation paradoxale, quantique — on est et on n'est pas à la fois ce que l'on croit être, car chaque information peut éventuellement démentir ou rectifier tout ce que l'on a cru acquérir. L'esprit surfe en permanence sur la vague du présent sans tomber en arrière dans le passé ni se précipiter dans l'avenir du rouleau. C'est la méthode du yoga supramental (où les expériences sont rapides, ininterrompues, inattendues, et contradictoires), autant se préparer tout de suite.

Autant recommander immédiatement cet état d'écoute parfaite où le moment peut venir infirmer ce que nous en attendons sans que cela ne soit gênant. C'est la condition objective, si éloignée du mécanisme de la projection que peu d'êtres humains l'expérimentent. Ceux-là sont unanimes pour faire de l'écoute absolue la condition même de l'éveil. C'est un état de souplesse remarquable qui dément les préjugés, et prévient les raisonnements répétitifs. Les préjugés sont fondés sur un manque d'information, ou sur des malentendus, ou encore sur des attentes illégitimes, fort nombreuses au demeurant. Par exemple, hier c'était un crime de ne pas gagner assez d'argent et on avait peur de manquer. Aujourd'hui on se rend compte que cette crainte a été inculquée par les parents qui n'avaient pas de quoi manger pendant la guerre, et qu'on peut avoir une vie pleine sans être riche. On s'installe dans le présent, et cela suffit pour ne plus subir la peur de l'avenir enracinée peut-être jusque dans les gènes. Le Tout est un univers magique où presque tout nous échappe.

L'acharnement à nier que presque tout nous échappe ne supprime pas les angles morts, et nous pousse à l'hérésie suprême: faire confiance au contrôle.

C'est l'ouverture totale — rare s'il en fut, mais c'est elle qui permet de faire du présent une nourriture toujours fraîche, celle qui permet d'accepter que tout nous échappe tout en y remédiant. Sinon, chaque journée n'apporte plus son dû de vérités nouvelles, de pistes solaires, de progrès non-séparatifs, d'étoiles filantes, car le moi demeure trop structuré, trop yang, trop convaincu de lui-même. Mais sans l'alchimie spirituelle, refermer la brèche est toujours tentant, dès que l'on est satisfait de ses petits voyages touristiques vers la vérité, de ses progrès de singe mental s'épatant lui-même. On aura ouvert les portes, les fenêtres, pris beaucoup d'air, et maintenant déjà rassasié, se reconstruit le territoire sur de nouvelles bases. On évolue en vitesse de croisière. Le pouvoir critique s'émousse vis-à-vis de soi-même, alors que vis-à-vis des autres, naturellement, il augmente. C'est irrésistible de drôlerie et de prétention, une sorte d'orgueil tenace qui se nourrit des progrès même de l'humilité — un monstre subtil d'une grande efficacité, courant chez les spiritualistes, et ceux qui feignent de savoir de quoi il en retourne. On se taille un nouveau domaine sur mesure après s'être évadé du milieu générique, et comme c'est un territoire, on le défendra avec la même fougue que le bon vieux terroir abandonné. On jugera sa tradition meilleure que celle de l'autre, son maître supérieur à tout autre, sa lignée la seule authentique, sa propre démarche la plus sincère, ses avertissements les plus bienveillants — quand ils ne seront encore que des menaces. Le nouveau moi plaqué or surplombe le passé, mais ne s'offre pas réellement au ciel. Pourquoi l'ascension s'arrête-t-elle chez la plupart? Car il faut bien admettre l'échec de la spiritualité. Combien d'éveillés, de maîtres pour mille chercheurs? Pourquoi, n'ayons pas peur des mots, autant de déchets dans ces démarches qui se voudraient au service de la vérité, et qui ne forment que des individus un petit peu plus conscients seulement que les autres, en dépit des efforts spirituels, des pratiques, des Lao-Tseu sur les étagères?

La meilleure solution est de se débarrasser de ce problème en invoquant le karma, c'est le point de vue théorique. C'est facile et sans doute vrai en partie. Si nous prenons le problème d'un point de vue pratique, peu nous chaut pourquoi tant de vies sont (presque) gaspillées dans des efforts qui ne mènent à rien ou presque. Nous voyons là le sacrifice du Divin Lui-Même remontant sans Se presser vers sa plénitude et son Omniscience à travers des individus. Nul reproche n'est à faire à quiconque; en revanche, rendre l'éveil plus accessible est la seule réponse adéquate. Pour ce faire rien de tel qu'associer sa quête à une thérapie susceptible de libérer l'ego en nettoyant les mémoires.

Beaucoup de chercheurs verticaux ont une belle aspiration, un référentiel ésotérique brillant, mais il leur manque l'accès à la transformation de l'inconscient. A l'inverse, certaines personnes savent évoluer, en particulier chez les femmes, en nettoyant le passé et en rectifiant le tir, en pressentant une satisfaction d'être supérieure et plus authentique, mais il leur manque une vision claire des principes transcendants qui gouvernent toute démarche holistique. C'est le moment d'encourager le cheminement, prévenir des dangers tout en louant l'obstacle révélateur. Mon but est de rendre votre sadhana, votre quête, ou votre thérapie, plus claire et plus précise.

Nous allons sans cesse nous rapprocher des obstacles évolutifs et le tableau parait sombre. Nous ne savons pas nous transformer en profondeur, et je montre simplement pourquoi c'est difficile. Dès qu'il a conquis quelque chose, l'homme pavoise et le singe réapparaît, dès qu'elle gagne, la femme se dandine. L'énergie vitale caresse alors l'esprit d'une manière en quelque sorte érotique, tandis qu'une satisfaction enivrante, en tout cas primaire, s'empare du moi et l'installe dans une certaine complaisance supérieure. C'est vulgaire.

L'évolution perpétuelle, celle qui ne comporte plus que des étapes, chaque but atteint découvrant la marche suivante, voilà ce que nous demande la Terre amoureuse du Ciel, et voilà ce qu'elle peut nous donner. Il s'agit de ne pas s'enfermer ni chez le docteur, ni chez le maître, ni chez le psy.

Une prison est une prison et Bob Dylan avait raison: quand Dieu est à nos côtés, on oublie qu'Il est aussi à côté de tous les autres, de tous les autres messies des bons et mauvais apôtres

Aparté autobiographique


C'est cette impression qu'un tas de perfections séparées les unes des autres forment un vrai chaos, que j'ai fini par ressentir en Inde après plusieurs mois d'affilée. Tout marche mal parce que chacun est persuadé de faire exactement ce qu'il faut en respectant les règles. Chacun a son petit rayon de compétence absolue, mais ne voit rien d'autre et n'en sort pas. Les prêtres font exactement ce qu'il faut, mais ils dorment, les parents font ce qu'il faut, chacun fait ce qu'il faut en se cassant la tête pour trouver sa forme de religion, mais rien ne marche nulle part. Tout le monde fait exactement ce qu'il a à faire, mais rien ne communique. Krishnamurti s'en plaignait à la fin de sa vie, il voyait son Inde natale s'attacher à la lettre et perdre sa profondeur et sa générosité, abandonner son courage spirituel. On s'y perd en formulaires, en procédures, en étiquette, en politesse, en rites, règlements, en castes et sous-castes, en castes chez les intouchables, ce qui est le comble, en secteurs de responsabilité quadrillés, mais le chaos est omniprésent dans un ordre aussi précis que superficiel puisque tout le monde obéit à des choses qu'il respecte sans comprendre ni vérifier, ni expérimenter. Chacun ne s'occupe que de son petit rayon. Même la quête spirituelle y est artificielle et convenue. Se remettre en question est facile puisqu'on a appris à le faire depuis des générations lors d'une cérémonie ou de la visite d'un saint ou d'un maître. Mais c'est un pur spectacle, une représentation. C'est une habitude de se remettre en question, c'est lettre morte, un rituel d'une complaisance obscène, c'est la procédure prétendue sacrée depuis trois mille ans, et on continue exactement pareil, dès le lendemain. On parvient en Inde à tout remettre en cause sans sincérité, car c'est tout bêtement une coutume, et la coutume, sauf initiation véritable, endort, c'est un berceau. Les gourous y sont indispensables, eux seuls peuvent permettre de différencier une remise en question formelle, certifiée conforme et mondaine, du vrai processus de confrontation à soi-même, qui vise la nudité, et appelle l'insécurité.


16 Explorer l'arbre de l'évolution


Une fois l'esprit ouvert, le refermer après en avoir tiré quelques bénéfices est une ruse commune, et la cause la plus répandue du piétinement spirituel, de l'analyse qui traîne, de la thérapie douteuse. On fait vite semblant de continuer à avancer, ou bien, d'un point de vue cette fois technique, plus on descend dans les couches archaïques, plus c'est difficile de s'en affranchir. Toute cette étude est destinée à nous permettre de descendre plus bas pour monter plus haut, c'est-à-dire explorer le subconscient tout en laissant le Supraconscient se manifester. C'est le fruit de l'expérience supramentale. Car l'un ne va pas sans l'autre, et monter permet de descendre ou réciproquement. La grande nouvelle qu'on mettra quelques siècles à comprendre, c'est que maintenant le Divin peut faire le travail à notre place — une fois que nous nous sommes hissés jusqu'à lui. Méditons donc la vision de Sri Aurobindo. Oui, nettoyer l'ashvatta est possible, et aujourd'hui nécessaire. Nous allons descendre dans l'arbre de l'évolution, rencontrer les mécanismes de la nature, tomber sur des parasites, sur des sortes d'ancêtres toujours là, dissimulés dans nos organes faibles, mais rien de cela n'effraie le supramental. Nous allons trouver des parasites personnels, de petits logiciels saboteurs mis en place à la suite d'événements insupportables, découvrir des parasites généalogiques, ces états d'esprit négatifs de nos ascendants que certaines circonstances appellent comme des fantômes, et enfin répertorier des parasites génériques, véritables murs d'énergie trouble, qui appartiennent à toute l'espèce et se dressent devant le Supramental — étape qui concerne particulièrement l'individu qui reçoit l'énergie divine dans son corps et la laisse «travailler» dans les cellules. Le supramental fore tranquillement, sans se presser, et met à jour tout ce que l'évolution a caché sous le tapis. Parfois c'est insupportable et quelques secondes après merveilleux. La matière-vie est triturée jusqu'au fond. Le Pouvoir divin est là, immense.


17 La loi du mouvement a été oubliée et bafouée


Une bonne partie des troubles mentaux qui nécessitent des analyses, des thérapies, et qui ne sont pas à proprement parler des pathologies car le corps reste impeccable, sont dus à des arrêts de maturation psychologique. Le patient se sera mis dans une situation qui l'empêche d'avancer, dont il ne sait comment sortir, et il réclame de l'aide. L'emboîtement du moi et du non-moi ne fonctionne plus, et comme c'est un emboîtement profond, naturel, automatique, que les chevilles se sont arrimées toutes seules au fil du temps jusqu'à ne faire qu'un, quand il est nécessaire de changer de formule, le travail ne peut s'effectuer qu'en parcourant le chemin à l'envers. Revenir sur ses pas semble aux patients marcher vers l'avenir à reculons. Il n'en est rien si l'impasse se dresse.

Nous cristallisons les choses sans nous douter qu'aucun ordre ne peut perdurer sans des métamorphose régulières.

Voilà ce que les chinois ont découvert et sauvé dans le taoïsme, ce que nous savons par Héraclite en Occident, mais que nous n'appliquons pas, et que Sri Aurobindo confirme en disant que la connaissance devient un obstacle si elle empêche d'aller plus loin. Vivre est une adaptation réciproque du moi au non-moi, et du non-moi au moi. Or nous nous embourbons par principe dans des croyances qui figent le moi et des ambitions qui paralysent notre relation au non-moi. Nous accumulons des choses à jeter, nous balisons notre territoire. Un jour la vitesse du temps nous rattrape et nous fait rendre les poids morts, elle piétine les frontières patiemment circonscrites. Arrivent dépressions, maladies, mal-être, tout le fatras de ce qui va nous permettre de réintégrer le mouvement réel qu'on a voulu s'approprier, retenir dans le moi, figer dans nos structures, enfermer dans le placard.

Toute hiérarchie naturelle incorpore en permanence de nouveaux éléments hétérogènes qu'elle plie à son homogénéité, et se débarrasse de matériaux périmés. La vie fonctionne ainsi. Le corps fonctionne ainsi, sans nous demander notre avis, avec le catabolisme et l'anabolisme, mais le moi conditionné empêche l'esprit de s'aligner sur ce modèle. Alors l'esprit souffre et se venge. Il déborde de notre moi conscient et réagit par des signaux dans le corps, «incontournables». Au-delà de cette limite, la volonté ne fonctionne plus, des troubles, des maladies apparaissent que la méthode Coué ne suffit pas à éliminer. Notre corps interroge notre esprit, le moi doit faire amende honorable.

C'est la constipation psychologique qui envoie tant de monde en thérapie, en analyse, et dont l'aspirant spirituel veut se libérer de son propre chef, par le renouvellement des valeurs et des perceptions, et un dialogue avec l'image de soi, ce rayon de soleil qui nous tient lieu de référentiel. Certes quelques enragés vont mal car au contraire, c'est la diarrhée mentale qui les torture, et ils cultivent l'exaspération, aussi ne retiennent-ils rien du temps qui passe et ils se perdent dans chaque instant. Mais cette catégorie est une petite minorité, tandis que les constipés psychologiques assiègent les cabinets d'analyse, les devins, les psychothérapeutes. Ils veulent vivre avec toute leur mémoire, conserver leur passé, ils se plaignent de ce qui est révolu, même si cela les a fait souffrir, ils sont attachés à leur souffrance, avec une fierté qui leur donne le sentiment d'être des victimes exemplaires, des victimes à décorer. Ils voudraient être ailleurs sans quitter l'endroit où ils se trouvent. Ils ont peur de manquer dans leur vieillesse, ils veulent accumuler des privilèges sans les inconvénients qui vont avec.

Le chaos enlace et stimule l'ordre à se renouveler. Les deux choses n'en sont qu'une, un perpétuel mouvement qui détruit des ordonnancements et en fabrique d'autres, mais nous voyons rarement les ordres s'effondrer, nous arrivons en général après la bataille. Cela est vrai de l'amour qui s'effiloche par manque d'attention à l'autre, de la doctrine spirituelle qu'on s'imagine encore suivre alors que ses manœuvres et ses principes sont devenus habituels, mécaniques, inopérants. Le temps passe trop vite, dira-t-on, pour suivre sa révolution permanente. Alors ce n'est plus le temps qu'on vit, mais ses séquences. On devient caméléon, on change de couleur, d'activité, de rôle, mais le moi au centre est trop ténu pour s'accommoder de ce manège. La force centrifuge entraîne le sujet vers l'activité, la précipitation, une adhérence toujours plus gluante aux événements, jusqu'à l'écartèlement fatal, l'aveu par le sujet qu'il a perdu quelque chose d'introuvable.

Un des facteurs qui peuvent pousser à faire une thérapie ou à se lancer vers l'éveil, c'est de reconnaître que tous nos secteurs fonctionnent, mais qu'ils ne communiquent pas assez entre eux: la tendance holistique est alors frustrée, et le moi, bien que satisfait de ses œuvres successives dans la gestion de son calendrier, bien que compétent dans chaque secteur particulier, éprouve un mal-être. Et quand il s'interroge sur ce qu'il est vraiment, d'une manière intemporelle en quelque sorte, seule la valse de ses identifications vient lui hurler qu'il n'est rien. On a meublé tous les moments, on les collectionne, mais on ne sait plus quoi en faire. L'esprit supraconscient, involué, en a peut-être assez d'être à ce point refoulé.

Ou encore, pour évoquer la nourriture du temps, manger équilibré c'est proportionner l'attention au moi à celle du non-moi, c'est réconcilier les hémisphères cérébraux. Accepter d'un côté de structurer et d'organiser, de choisir / accepter de l'autre de laisser s'échapper, de perdre, de lâcher du lest, et de sentir, tout simplement, ce qui se passe, sans y chercher de sens.

Ce qui arrive et ce qui est voulu sont parfois identiques, parfois similaires, parfois compatibles avec quelques acrobaties, mais que se passe-t-il quand le seuil de conformité entre l'occasion et la volonté est rompu? Le moi s'enfonce dans le non-moi par le désir, les attachements, les affects, la volonté; le non-moi s'enfonce dans le moi par les émotions, les contraintes, les devoirs, les exigences. Leur entrelacement est amoureux, puis se défait, et parfois les deux principes s'éloignent, ou se combattent même. Les prises de conscience qui peuvent provenir des crises sont virtuelles, et ne sont donc inscrites nulle part. Les professionnels ont cru longtemps que découvrir la cause d'un problème psychologique grave permettait de s'en affranchir. C'était l'ambition de la psychanalyse de faire remonter à la surface des événements-clés dont on montrerait qu'ils ont détourné l'identité d'elle-même en l'accrochant à des compulsions, des manques, des complexes, générateurs d'inhibitions, et de représentations fallacieuses. Mais beaucoup de patients remontent à l'origine et n'en guérissent pas pour autant, ou si lentement que le système ne fait plus vraiment ses preuves, et qu'il tend à être remplacé par d'innombrables formes de thérapie, qui exploitent d'autres pistes. Les investigations n'ont cessé de se diversifier depuis Freud, et les principaux courants sont marqués de la personnalité de leur fondateur, qui projette ses propres principes dans sa démarche. Un psychologue qui a conservé son ego ne fera jamais faire une thérapie du style de celle que Roberto Assagioli mettait en pratique, pour faire monter l'être spirituel à la surface, de même qu'un devin, persuadé du déterminisme qu'il décèle, comme son nom l'indique, dans tous les événements, donnera une consultation entièrement différente de celle d'un visionnaire spirituel, empruntant lui aussi la synchronicité (astrologie, yi-king, géomancie) pour orienter son client au-delà des choses qui doivent arriver. Les éléments objectifs transparaissent dans les démarches subjectives, car ils sont peu nombreux. Peut-on déchiffrer des lois universelles dans les cas particuliers?


18 Esquisses de modèles psychologiques


Amusons-nous à dresser la carte du territoire où l'esprit fait ce qu'il veut, nous aidant par tous les moyens possibles, y compris l'opposition radicale qui nous met en demeure de changer nos valeurs.

De Freud à Laing, chacun tourne sa petite chanson pour décrire la relation intime du désir et du sentiment, le couple astrologique (Mars/Vénus), sans qu'on ne puisse jamais faire le tour de la question, et en reconnaissant au passage que le féminin cherche naturellement à les joindre alors que le masculin les distingue le cas échéant. Rank combat Freud en remarquant que le désir est personnifié, c'est-à-dire que la puissance sexuelle ne cherche pas n'importe quel objet où s'investir, qu'elle fonctionne avec des préférences notoires, profondément subjectives, bien que ce soit, naturellement, une fonction générique, qui concerne donc toute l'espèce. Le désir et le sentiment forment une polarité, le désir exprime le sentiment, et le moi va vers le non-moi, le sentiment absorbe le désir, le non-moi pénètre le moi, mais ils sont suffisamment indépendants pour se retrouver parfois adversaires l'un de l'autre.

Si l'on possède tant soit peu d'honnêteté intellectuelle, on refuse les grandes généralisations dans les sciences humaines, sachant que chaque individu est unique, et qu'il possède une marge de manœuvre immense pour vivre les tendances génériques. C'est justement cette marge de manœuvre individuelle qui nous intéresse, puisqu'elle est si large, si aléatoire, que chaque personne en dispose à mille lieux de son voisin. Deux êtres humains ne seront jamais exactement du même avis sur quelque chose. Il ne nous reste donc que deux solutions, admettre que ce n'est pas grave, et fonder les relations sur autre chose, le cœur par exemple, ou mettre tout le monde au pas et décréter la vérité obligatoire, formule qui s'est épuisée dans des formes multiples sans obtenir jamais le moindre succès, de l'impérialisme religieux au totalitarisme et à l'intégrisme, en passant par l'inquisition et le lance-flammes.

L'astrologie bien comprise révèle une variété infinie de marges de manœuvre individuelles, légitimant du même coup la scène de ménage, le divorce, et la guerre. Les ingrédients des tendances psychologiques sont les mêmes pour tous, mais les recettes diffèrent. Le particularisme psychologique est donc éclatant, et cependant nous ne formons qu'une seule espèce. Et l'évolution cherche à former une espèce homogène tout en respectant en chacun sa propre singularité. Cela semble impossible, mais c'est faux. Nous pouvons universaliser en nous les fonctions psychologiques qui correspondent aux planètes, au soleil et à la lune, en les libérant des racines obscures de l'animalité. Comprendre qu'elles doivent obéir aux mêmes lois que dans le système solaire, et s'épauler. Alors chacun peut en disposer à sa guise, mais à un niveau supérieur, libéré des compulsions de l'espèce.

Avec la lune et le soleil, dont la complémentarité est évidente dans le monde physique, nous trouvons une opposition radicale, une complémentarité absolue, dans le domaine psychologique, puisque la fonction lunaire reconnaît les systèmes dont le moi dépend (de l'émotion à la sensibilité), tandis que le soleil cherche l'homogénéité du moi, en le valorisant, quitte à s'affranchir outre mesure du non-moi pour fonder une identité stable. En étirant le concept, la lune mène en droite ligne aux facteurs de dépendance, et parfois s'y noie, tandis que le soleil conduit à l'autonomie, à l'intégrité, à l'indépendance, quitte à embrasser moins d'étendue et trop se rassembler sur lui-même. En transposant, la volonté, qui s'oppose toujours à quelque chose, est solaire, et l'abandon, qui intègre toujours quelque chose par l'absorption, est lunaire.

Le champ immense de Saturne s'oppose autant à Jupiter qu'à la lune ou au soleil, c'est un univers de lois rigides qui fait facilement cavalier seul, et détermine alors des crises profondes. Saturne représente l'autorité, puis le code personnel des valeurs en passant par la culpabilité, le rejet, les dénis profonds, les obsessions cultivées. Il représente le principe de structuration essentiel des valeurs du moi, principe qui hiérarchise les croyances et les comportements, et traverse toutes les couches de la psyché, du refoulement au surmoi. Dans l'enfance, il représente le père. Je l'imagine symboliquement changer l'eau en glace, qui révèle dans le cristal de neige hexagonal (le schéma géométrique le plus abouti de la forme) de magnifiques pointes disposées harmonieusement. Saturne cristallise puis fossilise. Il manipule en partie l'esprit qui crée des cristallisations en permanence, à travers la farandole des tendances psychologiques. Chacune travaille en même temps pour elle-même et pour l'ensemble, dans un équilibre à proprement parler précaire, instantané — l'équilibre nécessaire au funambule, sur lequel Saturne possède un souverain pouvoir.

Les derniers signifiants astrologiques, Uranus, Neptune et Pluton, Kiron, permettent d'édifier une alchimie spirituelle complète, et seront mentionnés plus tard. Ils révèlent l'Histoire dans sa trame énergétique contemporaine, et c'est à cette lumière que je ressens l'avenir et condamne le passé. La Terre entière vit une époque d'accélération évolutive sans précédent. Personnellement, je sens spontanément, avant tout le monde, car c'est spécifique du Supramental, ce qui est réellement obsolète dans la Manifestation, à travers des expériences ponctuelles, qu'il n'y a pas lieu de décrire ici, mais qui ont largement contribué à m'inspirer. Comme Sri Aurobindo révélait concrètement les limites des enseignements traditionnels sous l'inspiration divine du supramental qui les transcendait, ainsi je suis traversé par des forces qui doivent disparaître et que j'expose au rayonnement supramental, expérience qui me permet d'établir les conditions réelles de l'évolution de l'espèce, et de condamner à mort certains processus psychologiques.

Je respecte évidemment la sadhana telle que Sri Aurobindo la présente, et qui peut faire abstraction d'un regard sur les forces astrales, puisqu'il est bien entendu qu'on peut s'en affranchir par une démarche correcte d'ouverture au Divin, sans même les répertorier. Mais dans le cadre de cette étude où nous présentons la marge de manœuvre de l'aspiration divine comme une force qui s'oppose aux différents matériaux déterministes pour les transformer, nommer les obstacles qui nous entravent, les regarder, les accueillir, permet d'établir une carte, puis de pratiquer plus facilement.

Et comprenons par métaphores que la lune joue des tours au soleil (que l'émotion dessert parfois notre identité ou l'envahit par trop), que Mars détruit ce que Vénus construit (que le désir et le sentiment font rarement bon ménage très longtemps), et enfin que Saturne nous montre nos limites sans se préoccuper de notre capacité à les reconnaître et à les dépasser, quitte à nous noyer dans la dépression ou la culpabilité. Jupiter nous donne envie de nous développer, de nous enrichir, d'élargir notre territoire, mais sa façon même de défendre nos intérêts est parfois quelque peu archaïque et terre-à-terre. Saturne peut alors lui montrer, en insistant, le passage vers la grande étendue, le ciel, pour le libérer de ces attachements matériels au milieu. Ces événements concernent la psychothérapie, c'est le jeu conflictuel entre le moi et le non-moi, dont nous nous amusons seulement à décomposer les mécanismes; et c'est le jeu complémentaire du moi et du non-moi, l'envers positif, qui caractérise la sadhana, ou consécration à l'éveil.


19 Réduire les formes aux principes


Avec quelques catégories seulement de symptômes et de tendances, dont j'esquisse ici le répertoire, le vécu indique systématiquement les mêmes contenus essentiels à la racine de comportements inadéquats. Le thérapeute, le maître spirituel ou instructeur, le psychologue averti, tous retombent toujours sur les mêmes facteurs de déchirure entre le moi et le non-moi,
les craintes, les déceptions, les attentes, les chocs, les stratégies involontaires (le répertoire naturel du subconscient), et leurs symptômes dans le mental et le physique.
Les schémas se répètent.
On le savait depuis Freud, puis l'arrivée de la psycho-généalogie le confirme. Il y a des ornières sur notre chemin, qui se moquent de notre «libre-arbitre», des ornières profondes, des sillons psychologiques familiaux, qui nous maintiennent à un moment donné dans une direction que nous n'avons pas choisie, ou plus subtilement, que nous avons choisi sans pouvoir faire autrement, que nous avons cru choisir alors que nous ne pouvions aller nulle part ailleurs. Relisez encore une fois, très lentement, la dernière phrase, c'est très important.

C'est un paradoxe qui regorge d'enseignements, et un des thèmes de réflexion les plus profonds que nous puissions identifier, un casse-tête. Pascal et Nietzsche ont plus ou moins perdu la raison en s'acharnant sur le libre-arbitre. Vu d'une manière rétrospective, si nous enchaînons toutes les causes entre elles, le devenir semble provenir du passé exclusivement, comme un film passé à l'envers — nous empêchant le moindre choix au bénéfice de bifurcations obligatoires. Okay, c'est un jeu de l'esprit qui rend fou, et il n'y a rien à en tirer d'autre qu'une méfiance souveraine contre les explications, toutes aussi pertinentes pour remonter le fleuve du passé sur des embarcations de critères qui prennent l'eau.

En revanche, il est certain que nos actes comportent des conséquences conformes, quelles que soient les raisons de nos choix. Les fausses guérisons entraînent donc des rechutes, les faux nouveaux espoirs de vraies désillusions certaines, les mauvaises décisions déclenchent des résultats médiocres, les mensonges ne transforment pas la vérité, ils ne font que la trahir. Et si nous sommes contraints de reproduire un schéma familial, cela se passera comme pour nos parents ou nos ancêtres, à quelque chose près, et la ligne maudite ne sera jamais brisée. Les alchimistes insistent sur la conformité des causes et des effets, «bien que toutes les semences produisent des fruits, ne t'attends pas à produire de l'or philosophal si ta matière première n'est pas la bonne. Découvre la materia prima, et il ne te restera qu'à cuire. J'en ai déjà trop dit.»

C'est une vision systémique qui est nécessaire, pour emboîter les petites réalités dans les grandes, pour montrer la couleur d'une tendance psychologique, et, au niveau supérieur, pour indiquer les incohérences et les turbulences, les mélanges formant des teintes nouvelles où le ton fondamental se sera perdu. Il suffit d'ajouter à ce système simple un appareil d'interférences transversales, pour obtenir toutes les variations. Nos tendances psychologiques possèdent donc une configuration d'ensemble donnée, qui sera excitée par des événements personnels surgis du passé traumatique, puis par des événements familiaux enregistrés, des mémoires ancestrales donc, puis par des événements collectifs très profonds, des mémoires génériques d'une obscurité indescriptible.

Cette pensée systémique est fort utilisée en sciences physiques, dans la mécanique quantique, et sans doute en électronique pour créer de nouveaux langages de programmation. Pour le moment, les sciences humaines ne l'ont pas encore utilisée pour bâtir des représentations ou des répertoires, pour la bonne raison que l'esprit est si homogène qu'on peut toujours douter de la valeur des conventions qui veulent le représenter. On ne peut pas non plus le couper en morceaux, et, par exemple, il est impossible de prétendre qu'un patient souffre de troubles imaginaires puisque ses maux sont réels. On ne sait pas non plus où faire commencer la pathologie, puisque différents critères la définissent, et que l'absence de symptômes physiques peut accompagner des dérèglements psychiques. En généralisant, la société matérialiste est obligée de reconnaître une multitude de manifestations de mal-être, qu'elle peine à originer, et qu'elle s'acharne à soigner sans connaissance profonde.

Seule la culture supramentale, encore embryonnaire, révèle la véritable dimension de l'esprit, puisqu'il est toujours présent d'une manière ou d'une autre dans la sensation, l'émotion, et naturellement la pensée, tandis qu'il opère en secret dans la matière physique à travers les nerfs. Que se passe-t-il quand l'esprit gribouille et que le moi se divise? La vie n'est jamais conforme à ce que l'on souhaite, ou si peu, et c'est tant mieux pour mettre en place des procédures adaptatives, pour rencontrer des obstacles évolutifs, stimulant notre conscience. Antigone avait-elle le choix? Nous ne le saurons jamais, mais en ce qui concerne notre gouverne personnelle, nous pouvons décider d'explorer notre esprit. Il est fluide, mouvant, il perçoit la durée comme son propre territoire, et peut se délecter de collectionner quelques souvenirs mirobolants, qu'il astique sans cesse, ou de cultiver quelques rêves ou projets qu'il modifie voluptueusement. Il se déplace si bien et si facilement, que lui enjoindre de rester immobile constitue pour lui un ordre irrecevable. La contrainte absolue le panique. L'urgence le traumatise. Le souvenir et le souhait sont pour lui aussi réels que l'observation du moment.

Les professionnels de conseil intègrent mieux cette vérité que les autres. Les médecins, thérapeutes, analystes, les astrologues, des plus charlatans aux plus initiés, les voyants des plus éclairés aux plus manipulateurs, ont affaire à l'urgence, et savent que le temps n'est pas cette matière uniforme que le calendrier découpe en morceaux homogènes. Le temps est élastique. De courts moments peuvent s'éterniser, et de longues périodes sembler courtes. De minuscules instants orientent une vie entière, par la décision, l'occasion, ou l'accident, dans une seule direction, comme la routine roule sa bosse dans des champs fermés.

Les grecs déjà opposaient les passions à la sagesse, la saveur de l'immédiat voulant se perpétuer délicieusement en toute impunité, la saveur nacrée du lointain cherchant un équilibre, une stabilité, une égalité tranquille. A l'intérieur de nous, les fonctions psychologiques sont prêtes à disputer sur toutes sortes de sacrifices.

Ceux que l'avenir doit offrir au présent,

ceux que le présent consent à offrir à l'avenir.


Deuxième partie: De la psychothérapie à l'alchimie



1 Le corps victime du moi


La fascination de la vie peut entraîner les fonctions subjectives à une expérimentation excessive. En empruntant notre terminologie, la lune et ses émotions, vénus et ses sentiments, mars et ses désirs, feront une farandole et s'exciteront mutuellement. C'est le corps qui paiera pour les responsables en amont, et assez rapidement. Les excès sexuels engendrent une faiblesse des reins, l'alcool condamne le foie et le sang, le tabac les poumons. Le surmenage intellectuel, si mercure joue au champion, et qui semble plus noble dans notre culture en étant tout aussi pervers, attaque sournoisement les nerfs et exagère l'ego mental. Les lentes vibrations des ondes spirituelles supérieures ne pourront plus y pénétrer pour permettre au cerveau de nouvelles opérations intuitives. Les excès alimentaires, dont la femme, yin, est très souvent la victime, produisent la paresse intellectuelle sous l'égide de la lune, puis des troubles dans toutes les parties du corps. Les hommes qui continuent de penser à leurs affaires en mangeant, sans diététique appropriée, développent des maladies cardio-vasculaires, comme si leur cœur manquait de place et appelait au secours. Et si l'on s'abandonne à la structuration et au contrôle permanents, un mental trop rigide, au-delà de la loi de conformité naturelle, engendre immanquablement des maladies osseuses ou articulaires, des maux de dos variables, et quelques manies. On peut même détailler. Une émotivité débordante et cultivée s'attaquera, finalement, à l'estomac, une peur chronique aux reins, une tristesse interminable aux poumons.


2 Bouddha avait raison !


Dans une société dont l'activité consiste essentiellement à créer de nouveaux besoins chez ses membres, se dégager de la fascination de l'objet s'apprend en psychothérapie et se développe dans la quête intuitive. Au dehors, l'on prendra le risque ridicule d'être considéré comme une personne qui aime perdre son temps, quand on se dégage des comportements utilitaristes, et qu'une intensité agréable à méditer, réfléchir, contempler la nature, faire de l'exercice physique, vient compléter l'intérêt pour les témoignages de ceux et celles qui ont accepté la brèche évolutive.

Et le docteur David Servan-Schreiber, dans guérirCollection Réponses, éditions Robert Laffont, précise que la perte du sentiment naturel du corps, perte indispensable à l'idéologie du profit qui aliène au travail, cause de bien nombreuses maladies qui pourraient être évitées par des moyens simples, dont la nutrition correcte et l'exercice physique régulier. Le corollaire est simple. L'objet qui fascine rend malade, l'attachement à l'argent, au plaisir, au travail, et même au bonheur considéré comme un esclave docile, tout ce qui monopolise l'esprit le dessert, le comprime et l'enferme. L'esprit veut être libre, épouser le ciel, soutenir le corps, aimer la Terre. Il traverse notre mental supérieur, tombe sur des intuitions qui, en trois secondes, viennent à bout de raisonnements pénibles et inachevés, il anime notre mental contingent toujours aux prises avec le pouvoir décisionnel et l'altérité, et se cache jusque dans le mental physique, une sorte de mort consciente, que le yogi supramental rencontre en descendant toujours plus bas, et dont toute évocation est vaine. Seule l'expérience renseigne. C'est ce dernier pouvoir, le plus lourd, le plus inconscient, et sans doute le plus ancien de tous, que le Divin cherche à transformer pour diviniser la Matière et la libérer de la mort. Les registres des pouvoirs subconscients sont nombreux, opératifs, fonctionnels, opportunistes. Les erreurs se paient, même si elles ne sont pas des fautes. Nous sommes remplis de volontés et d'intentions qui ne sont pas les nôtres, qui sont des mémoires vivantes, des procédures énergétiques, des parasites, des morceaux de semi-conscience vivace, et pourtant les voilà à l'œuvre à la moindre faille, nous envoyant les épreuves et les défis, soulignant les limites de notre volonté dans le sentiment d'impuissance. Evoluer est le seul chemin.


3 Marier le Yin et le Yang


C'est une attitude yang, volontaire, qui permet de créer ces espaces privilégiés d'épanouissement personnel consacrés au ressourcement et à la voie, où l'esprit aura du répit. Il sera établi que le moment, le seul intermédiaire entre le moi et le non-moi, sera délivré de finalités mesquines. Une fois qu'ils auront été créés, ces terrains de jeux donneront l'occasion de devenir réceptif en profondeur. C'est parfois difficile d'obtenir des espaces de vrai lâcher-prise, mais une fois installés, l'abandon de ses prérogatives personnelles se développe à l'intérieur, pour apprendre à écouter, voir, ressentir sans arrière-pensées, sans quête du résultat, pour apprendre à désapprendre, comme le disait déjà Lao-Tseu.

Le mouvement d'ensemble destiné à libérer du contrôle peut être partagé dans un groupe ou se mettre en place dans des moments de solitude. Le lâcher-prise permet une meilleure circulation des énergies mentale, émotionnelle, physique, et aide à réconcilier les hémisphères cérébraux. Les chinois connaissent ces techniques, où seule l'impulsion est volontaire, tandis que les gestes qui s'ensuivent font appel à l'énergie non musculaire, ou à la conscience du corps physique. Le yoga demande beaucoup plus de pratique pour arriver aux mêmes résultats, puisque le contrôle y est beaucoup plus important. Mais à un niveau de maîtrise rare et difficile à atteindre, les postures doivent s'installer d'elles-mêmes et procurer des états que le corps non travaillé ignore. Beaucoup de sports pratiqués avec une adresse relâchée, comme la longue randonnée, la natation, le snorkelingnager avec une vision sous-marine et éventuellement faire de l'apnée en eau chaude, débouchent aussi sur des échanges positifs entre les différentes parties de l'être, et peuvent même en certains cas déclencher une méditation naturelle régénératrice sans le moindre effort technique.

Les grandes cités empêchent l'hygiène de vie, d'où l'augmentation exponentielle des dépenses de santé en Europe, et le succès des pharmacies, puisque nous perdons nos défenses immunitaires de manière inquiétante, et faisons disparaître toutes sortes de symptômes, autant de signaux d'alarme, par de petits abrutissements chimiques. On ajourne ainsi sans cesse des rectifications indiquées par l'esprit global qui manipule le subconscient pour nous avertir. Cet état de fait culturel provient du mental du 18ème siècle, qui n'a cessé de se prolonger et de s'emparer de l'Histoire, et qui croit à la fragmentation du Réel — sans se rendre compte qu'à force de découper le grand puzzle en petits morceaux, la chance de le reconstruire s'amenuise. A l'opposé, comme certains médecins occidentaux ont enfin l'audace de l'établir, la vision chinoise du monde, la seule à proprement parler holistique depuis l'origine, nous propose l'acupuncture, peu soucieuse d'examens interminables, mais capable de sentir la fuite de l'équilibre, de l'homéostasie, et de la rétablir par des moyens simples.


4 Face au réel du non-gratifiant


Toutes les contraintes qui nous relient à la nature, et qui déterminent les conditions de la bonne santé, sont très peu prises en compte par le moi conditionné. Le corps physique demande plus d'attention que ce que notre éducation prétend, le refoulement des émotions, destiné à sauver la face en toutes circonstances, s'avère en fin de compte une stratégie idiote et somatisante. Refuser l'intuition au nom du cartésianisme et de la preuve expérimentale mutile une partie entière du cerveau. Il semble donc acquis qu'il faut aller voir de bien plus près les forces dont nous dépendons, pour respecter leur travail, le comprendre, éviter les retours de manivelle dus au stress, aux conceptions fausses du moi ou du non-moi. Cette aventure n'est pas rassurante au début. Voir que l'on est plusieurs dérange, se rendre compte qu'on n'est ni plus ni moins qu'une étagère biologique, et que chaque rayon veut caresser ses propres objets du désir, voilà qui propulse dans une saison en enfer. Puis c'est une fête. Les moi concurrents se séduisent, s'affrontent, le centre repère celui qui ne veut jamais s'élancer, celui qui veut temporiser, celui qui en veut toujours plus, celui qui abandonne, qui baisse les bras, celui qui s'arrange en tournant les choses à sa manière. Le moi évolutif veut accueillir des transformations fragiles mais souhaitables, qui seront refusées ou ajournées dans les étages inférieurs, comme les affects, les émotions, les habitudes addictives.

Voici un nouveau paradigme commun à la thérapie et à la voie, les deux démarches identifient plusieurs acteurs intérieurs. Accepter d'observer leur jeu n'est pas une attitude plus dangereuse que de subir soudain des conflits catastrophiques, ou des comportements réactifs qui entraînent là où l'on ne veut pas aller, après que les prises de conscience auront été ajournées trop longtemps. Nous sommes un véritable arc-en-ciel. L'identité n'est pas que de la volonté, ni que de la pensée, ni que de la mémoire vivante, ni que du sentiment, ni que des sensations organisées et des émotions — c'est un ensemble constitué de fonctions multiples. Nous allons nous familiariser avec les matériaux de l'alchimie spirituelle, les pouvoirs psychologiques conformes aux principaux corps du système solaire, et cet inventaire peut être une piste aussi bien pour mener sa propre thérapie que pour clarifier son ascèse. Différents mouvements s'ordonnent, se complètent ou rivalisent pour s'emparer du moment, et nous voilà déjà au pied du mur.


5 Les acteurs intérieurs


Accordons donc des noms aux tendances psychologiques symbolisées par les corps du système solaire. Gardons les mêmes pour simplifier. La tendance mars veut des solutions rapides, résolutives, franches, directes, elle fonce et dégage la route, parfois brutalement. Elle est yang. Monsieur muscle s'ennuie facilement parce qu'il a réponse à tout pourvu qu'il bouge. Il préfère en faire trop que pas assez, il ne se pose pas de questions, il détruit un emballage difficile à ouvrir, quitte à risquer d'abîmer le contenu. La tendance lune cherche à nous maintenir en contact avec le non-moi, à n'importe quel prix. C'est elle, le principe de viscosité qui fait qu'il n'est pas si facile de mettre un terme à une émotion qui nous dérange, de poser un mur qui tienne entre une personne désirée et soi-même, ou si facile de laisser fermé le frigidaire quand on est angoissé. La lune est yin. C'est elle qui transforme un coucher de soleil en extase mystique si Vénus lui donne un coup de main au moment où elle respire la brise marine. On peut l'appeler madame Seccotinenom de la marque d'une fabrique de colle qui est devenu le nom commun de la colle dite universelle et la mettre à la porte quand elle insiste vraiment, mais elle a l'habitude de revenir par la fenêtre, à moins qu'elle ne creuse carrément des tunnels, si elle n'a pas été congédiée correctement. Elle nous rappelle sans cesse à la conscience de notre territoire, elle nous ramène au contexte par l'émotion, la plainte, le besoin, la sensation physique. La tendance saturne est à part, en quelque sorte, parce qu'elle est complémentaire et opposée aussi bien à la lune qu'au soleil, qu'à Venus et Jupiter. C'est du yang subtil et inflexible, rien à voir avec le yang martien acéré et tranchant. Elle voudrait même ralentir le pas de tout le monde, sous prétexte de vérifier la direction à chaque seconde. C'est elle qui envoie la mélancolie chronique, elle qui vénère le perfectionnisme inaccessible, qui voit l'éraflure minuscule sur la carrosserie de la voiture neuve et lui donne envie de tuer son auteur. Mais Saturne est aussi tout à fait recommandable dans sa juridiction. Remarquable dans les choses abstraites — c'est seulement la vie qui le dérange. L'ordonnancement des choses, les hiérarchies et les courroies de transmission, la vision par étapes, la cartographie qui dispense d'aller sur le terrain, cela lui convient parfaitement, et cette énergie-conscience atteint l'extase en se demandant ce qu'il faudrait faire. Visualisé comme un personnage, Saturne est masculin, sec, vieux. Seul, il n'est jamais triste. Il habite les cavernes et n'a besoin d'aucune distraction. Peut-être compte-t-il les étoiles patiemment, en se souvenant exactement des secteurs déjà mémorisés, de tête, afin de ne pas faire d'erreur, sinon il serait obligé de tout recommencer. Pas question d'en oublier une ou d'en compter une en trop dans ce carré de ciel. Il a le temps, contrairement à Mars qui rêve de s'en emparer par le désir. Plus sérieux, on ne trouve pas. Les plaisanteries l'offensent et il trouve qu'elles salissent. Il cherche parfois à faire le vide autour de lui, et il vire les personnages intérieurs les uns après les autres, s'il a pris le pouvoir. Alors, il montre la durée telle une grande gueule de monstre omniprésente. Monsieur structurateur est très puissant, et il vous attend au tournant pour vous montrer tout ce dont vous êtes incapable avec un certain plaisir. Si vous faites alors appel à lui, il peut vous aider, sinon il remue le couteau dans la plaie. Il force à la reconnaissance de l'autorité du Tout. C'est un adversaire farouche, mais face à un soleil puissant, il fait allégeance. Après tout, Saturne vous aime en vous mettant le maximum de bâtons dans les roues. Peut-être veut-il faire de vous, à votre corps défendant, un champion de la vie, un connaisseur des lois, mais il ne vous laissera pas parvenir si haut sans que vous ayez un certain mérite. J'évite de caractériser Vénus, cette chérie, car je ne pourrais plus m'arrêter. Elle répète tout le temps comme un mantra: le monde serait bien meilleur si tout y était aussi beau que moi, et elle a parfaitement raison, car elle est vraiment séduisante, belle, attirante et spontanée, pleine d'imagination. Elle embellit ce qui est déjà beau, et donc la voilà frustrée devant le laid, qu'elle ne sait pas par quel bout prendre. Elle lui reproche son existence. Le gratifiant la rassure et elle ne peut vivre sans lui, mais elle exige qu'il soit esthétique, ce en quoi elle est bien plus raffinée que madame Seccotine. Elle flirte avec la durée, la séduit, lui fait des caresses, elle aime le non-moi, les couleurs, la musique, craint seulement le noir, et n'aime pas les grosses quantités de rouge. Elle ressent profondément que la vie est un don, elle sait donner et recevoir, et admet facilement que le moi et le non-moi doivent s'épouser. Et comme elle est fine, elle sait très bien que les noces entre le moi et le non-moi dépendent de la qualité du moment, aussi recherche-t-elle un présent digne de ce nom, léger, beau, charmant et sans souffrance. Elle souffre du spectacle du mal. Elle sait s'oublier, mais elle est quand même désemparée assez facilement quand le non-moi change de visage et s'enlaidit ou s'obscurcit. Elle est pleine de reconnaissance et de gratitude, parfois même sans savoir pourquoi. Un peu émotive sans doute.

Voilà déjà quelques matériaux qui campent notre condition, avec nos élans, nos questions, la météorologie du «désir/plaisir» ciel bleu et de la «réflexion/devoir/contraintes/nuages» qui annonce très schématiquement les variations du temps et quelques intempéries. Bien sûr, je devrais compléter avec Jupiter, le rondouillard bienveillant et opportuniste qui n'est pas le même dans les différents étages de la maison du moi. En haut, sur la terrasse, il s'éprend des étoiles, car son propre territoire se confond avec l'étendue, et le voilà généreux, oublieux des intérêts matériels, et plein d'élans supérieurs qui le poussent à apprendre et à organiser du meilleur, et à voyager pour répandre la bonne parole. Au rez-de-chaussée, il aime faire des affaires et sait exactement emporter un achat au meilleur prix, car son territoire devient plus prosaïque. La prospérité le rassure, et il aime dépenser sans se priver. Mais dans la cave de la maison, il s'enivre et se laisse aller, et se dilate pour jouir n'importe comment, car il s'abandonne au non-moi outre mesure, servilement. Il cherche notre place, jupiter, en tenant compte de nos capacités et en nous poussant à les améliorer, un vrai coach. Après tout, pourquoi ne porterions-nous dans notre bagage énergétique toutes les ruses utilisées par l'évolution pour survivre? Et ces ruses se complètent, Jupiter compulsif veut tout, Saturne compulsif veut mourir ou tout contrôler, lune compulsive se plaint et se noie dans un verre d'eau, soleil compulsif pavoise, Vénus compulsive se noie dans les sentiments, Mars compulsif fanfaronne puis casse tout, animé par une sainte colère, Mercure compulsif se fait des idées. Une joyeuse bande de larrons en foire, croyez-moi. En fait, comprendre que ces pouvoirs n'ont pas les mêmes intérêts, nous invite à les équilibrer. Dans cette mesure l'inhibition n'est jamais loin de l'excitation, l'adhésion au non-moi trouve toujours en coulisses la distance, la réflexion, le recul, le doute, l'atermoiement, et notre esprit danse dans le chatoiement des possibles jonglant avec des sphères et des carrés, des oui et des non.


6 La blessure évolutive (Kiron).


La peur est en nous, la séduction est en nous, l'opportunisme est en nous. Découvrir à quel point les forces souterraines agissent à la surface, voilà l'enjeu de l'alchimie spirituelle, qui combine l'approche thérapeutique et l'aspiration évolutive. Le vieil animal craintif est encore là dans nos ongles, tandis que l'ange, en quelque sorte, fait son nid dans la glande pinéale. Ce qui est pur au-dessus l'est moins en dessous avec toutes les mémoires qui s'accrochent à la matière. Le lourd tombe, évidemment, et nos résistances se tiennent en bas, non pas dans la partie consciente de notre esprit, mais dans le secteur matériel du corps soumis à la gravitation, et à la loi du territoire. L'astrologie, cette abîme de connaissance que la mécanique quantique ne fait que révéler, modélise nos comportements, et répertorie nos tendances, avec les mêmes options indéterminées que celles qui parcourent la physique d'Heisenberg. Au même moment, avec le même thème de naissance, peuvent naître un saint et un escroc, et je tenais à le souligner immédiatement pour qu'on comprenne que ce traité d'alchimie demeure quantique, lui aussi. Ce qu'il révèle est probablement vrai, mais vous ne pourrez le vérifier qu'en vous engageant dans l'expérience. Une fois la carte dressée et les repères obtenus, les jungles sont peut-être placées par rapport aux points cardinaux, mais c'est à nous de les traverser. On aura tout au plus emporté une boussole, ce qui n'écarte ni les animaux sauvages ni les moustiques. Tout reste à explorer, le passé, le présent, le moi, l'époque, le non-moi.

Les sanctuaires abandonnés sont à revisiter, cette foi naïve de l'enfance encore vierge, bientôt froissée par un manque d'amour, terrassée par un chagrin, un deuil, une déception imprescriptible.

Le temps griffe tel un fauve
le moi meuble qui aime
la blessure apparaît
pour apprendre à guérir.

Le moment peut nourrir comme une eau claire. La durée excite les juridictions du moi dont les attentes sont différentes. Ces descriptions sommaires, caricaturales, des pouvoirs psychologiques sont suffisantes pour commencer à faire des repérages spontanés, voir le lien entre l'objet et ce qu'il représente. Laissez vraiment faire l'esprit, et vous verrez qu'on n'est pas dans le même état quand on achète un bouquet pour un rendez-vous d'amour ou une couronne pour un enterrement. Or, l'on est bien chez le même fleuriste. Approchez-vous davantage, à travers l'événement lui-même cadré dans un contexte objectif, de ce qu'il représente réellement. Aucune situation n'est seulement immédiate, elle représente quelque chose pour notre mémoire d'un côté et pour nos souhaits et nos attentes de l'autre — comme si l'événement présent s'étendait par les pouvoirs inconnus de l'esprit simultanément vers le passé et l'avenir.

Les faits amènent donc à la surface autant de contenus conscients, des états d'esprits assumés et reconnus, actuels donc, que des contenus inconscients latents et intérieurs — dont la manifestation, comme la colère, la peur, le ressentiment, l'angoisse ou le désir brûlant, s'élance depuis les structures psychologiques. Le présent est sans cesse stimulé par les ressacs subtils du passé et les attentes irisées du futur.


7 Le Soi, l'œil impersonnel


Les humeurs intérieures montent vers ce qui se passe, et l'événement appelle des contenus intérieurs oubliés. Le Soi délivre de ce mécanisme. Ce principe constitue le socle de l'alchimie spirituelle: voir quel passé sous-tend le présent, quels archaïsmes président parfois aux décisions dans de nombreux cas de figure où la solution consciente fait défaut par la force des choses. La succession des moments recouvre une identité intemporelle, que l'on peut néanmoins retrouver par une démarche adéquate. Cette identité s'exprime par un moi impersonnel qui se manifeste quand l'ego de la nature s'effondre. C'est le fameux satori, ou éveil transcendant, dont beaucoup parlent sans l'avoir expérimenté, car ils le pourchassent et l'évoquent dans le but d'y parvenir, et qu'ils connaissent la formule qui y mène — traverser l'arrière-plan psychologique pour enfoncer le Présent jusqu'au centre du Moi.

L'accent est mis sur le moment en particulier dans le zen, la méditation fait remonter certains contenus qui empêchent l'attention spontanée, puis les dissout. En thérapie, ces contenus sortent d'une autre manière et les commenter permet de s'en libérer. L'alchimie combat cette tendance humaine à faire disparaître les problèmes par un changement de décor. La somme des ajournements finit par amener cette crise que le mental ne peut plus contourner, puisque le corps physique, lui, ne veut plus mentir.


8 Le bricolage évolutif


Les patients pressés de trouver des solutions à des problèmes graves ou récurrents se comportent dans le prolongement même du stress qu'ils croient combattre. Ils sont en général sous l'emprise des signifiants émotionnels, lune, Mars, Vénus, qui encadrent la terre, et régissent les domaines purement subjectifs. En s'éloignant, on trouve plus de lumière et de fluidité vers le centre (Mercure et soleil) et plus de lourdeur, de matière, de cristallisation vers l'extérieur du système (Jupiter et Saturne). Puis les derniers corps connus en orbite, comme Uranus, Neptune et Pluton, amènent des semences spirituelles et matérielles qui peuvent changer l'Histoire. Chaque être humain évolutif élargit son champ de conscience des deux côtés à la fois et représente ainsi l'univers d'une manière plus profonde. L'Alchimie spirituelle dilate le moi dans la direction de la galaxie vers un Saturne souverain pour évaluer le prix des changements nécessaires, et contrebalance ce mouvement centrifuge en croisant Mercure, l'étincelant, sur le chemin du soleil intérieur. Par amour de lui-même, l'astre d'or décidera de faire tourner autour de lui, en pleine harmonie, toutes les instances psychiques.

Cet élargissement fait exploser la conscience du territoire qui détermine toutes nos réactions rétrogrades.

En d'autres termes, le dharma doit l'emporter sur le karma, l'accepter, le reconnaître, le libérer. C'est inutile d'opposer le dharma au karma, mais il faut souvent la présence d'un maître pour faire comprendre qu'ils collaborent, dans le fond, et que les erreurs servent de marchepied aux progrès évolutifs, que l'ignorance est le socle même de l'aspiration divine. Les débutants ne se doutent pas que des parties de l'être veulent une transformation réelle, mais que d'autres, d'abord muettes et qui semblent d'accord, viendront s'interposer pour maintenir le passé et empêcher l'avenir solaire.

Cette observation précieuse établit que certains matériaux psychiques, homogènes en principe, ont le pouvoir de devenir hétérogènes, de se séparer, de se retourner contre l'ensemble et l'attaquer, puis de diviser le moi pour permettre un mouvement transformateur — auquel ils s'opposent dans leur forme. L'obstacle devient l'allié, célèbre formule supramentale, puisque les mutants s'appuient sur toutes les résistances qui se présentent pour diviniser la matière. Nous savons tous que nous allons vers un homme terrien, aux valeurs universelles, même si les particularismes subsistent pour livrer chacun son diamant de lumière.

Transformer c'est avancer vers l'inconnu — pour être précis et concret le lendemain.

Le délai indéterminé pour «guérir» dans la thérapie ou trouver l'éveil dans l'ascèse est accepté sans coup férir, tandis qu'une intention suprême guide au travers des événements. L'on accueille une période riche où les significations et les valeurs se transforment par des prises de conscience, en tâtonnant, en cherchant des solutions diverses, expérimentales — et non pas en s'acharnant à débusquer des recettes rigides et fiables. Nul ne peut évaluer le délai pour venir à bout d'un trouble intérieur, qui s'est installé. Cela peut prendre trois jours, trois mois, trois ans. Ni le thérapeute, ni le sujet ne peut s'avancer sur cette question. C'est la même chose dans la quête de l'éveil, dont l'échéance ne peut pas être fixée, et, dans le fond, les deux protocoles décapitent le passé pour lui éviter de revenir troubler le présent, bien que l'un mette l'accent sur la qualité pure, et l'autre sur une clarification seulement du moi. Guérir d'une maladie sans symptômes physiques est un pari avec le thérapeute. Guérir de l'ignorance, souhaiter l'éveil, voici l'hypothèse d'une connivence absolue avec un maître, l'univers, ou le Divin. Quelle que soit l'aide extérieure, nous sommes les seuls à pouvoir transformer. Nous quittons définitivement la conscience du territoire, celle qui se satisfait de cet être humain incurable, maladroit, cruel, mesquin, plein de bonnes intentions, mais possédé par les compulsions, et ravi de guerroyer pour des vétilles, de maudire pour un rien, de se plaindre de la pluie. C'est notre esprit qui est malade, et nous ne pouvons même pas incriminer le cerveau. C'est l'organe de la perception qui coordonne les sens et le sentiment du moi, un immense pouvoir de conscience qui assimile le non-moi dans le moi, comme l'appareil digestif transforme la nourriture en énergie pour le corps. Ce mystère-là déborde de notre volonté, il nous dépasse, et appartient en partie à la nature. L'énigme a toujours été réduite à sa plus simple expression dans toutes les cultures. Les seuls qui connaissent réellement l'esprit sont les hommes et les femmes qui se sont donnés intégralement au mystère de la conscience, prêts à renoncer à tout, pour observer, comprendre, remonter à la source de leur existence. L'évolution exige qu'une proportion plus importante d'êtres humains constitue cette catégorie. Ce mystère-là peut en faire à sa guise, surtout si nous voulons l'enfermer, en devenir l'exclusif propriétaire, l'instrumentaliser comme une simple machine. L'animal humain voit son esprit péricliter s'il ne sait plus lui donner à manger le moment, la durée, d'une manière satisfaisant aux lois de l'univers. Si cette image vous interpelle, vous surestimez peut-être les pouvoirs de votre liberté, et remplacez-là par celle-ci.

Si une planète du système solaire décidait de faire cavalier seul, elle entraînerait dans sa chute l'ensemble. Des lois surpuissantes l'empêchent de sortir de son orbite. C'est la même chose pour l'esprit. On peut le tirer ici ou là, et appliquer notre marge de manœuvre à qui mieux-mieux, mais si nous sortons du cadre universel, dont les lois nous échappent, le moi est rappelé à l'ordre. D'un point de vue métaphysique, les pièges, les errances, les erreurs, les détours, et même les fautes, finissent par nous ramener à l'ordre parce que l'esprit souffre et lâche prise, et transforme le soi-disant libre-arbitre égaré. L'esprit involontaire du haut, le moi subliminal, nous jette dans les bras de l'ange, mais l'esprit involontaire du bas, le mental physique, obéit à la mort, et somatise à qui mieux-mieux.

C'est une sorte de loi. Puisque les transformations réelles ne sont pas fondées sur le passé, on ne peut pas s'attendre à les considérer comme un prolongement de ce qui fut, une excroissance du passé — on accueille donc le virage brusque et le saut, l'impasse et la chicane, la mue. Le tâtonnement épaulera la recherche de l'ordre, l'aléatoire et l'imprescriptible danseront ensemble sur le bûcher du passé. Nous voilà les témoins de la démarche exploratoire, les instruments de la Conscience. L'étendue remplace le quadrillage, le souffle la pensée. La patience se dessine.


9 Les bases de l'alchimie


La mémoire des relations entre les corps du système solaire est inscrite, sous une forme très précise et subtile, dans notre propre matière, et permet donc des investigations fructueuses en psychologie. J'ai eu beaucoup de mal à l'admettre personnellement, car toute mon éducation se refusait à ce qu'un simple schéma comportant quelques traits sur un cercle divisé en douze soit aussi représentatif. Mais ayant remplacé un astrologue dans un salon, quand j'étudiais cet art en 1984, par simple acquit de conscience, je me suis rendu à l'évidence. La tradition a raison. Nous ne savons pas pourquoi cela fonctionne, mais ce n'est pas une raison suffisante pour empêcher le principe de fonctionner. Comme les chiffres peuvent se prêter à l'arithmétique, l'algèbre et la géométrie, l'horoscope peut être lu d'une manière quantitative, qualitative, ou virtuelle, et l'on peut accorder différents niveaux d'interprétation aux mêmes signifiants. En bornant notre étude aux grands archétypes, nous sommes sûrs de leur validité, éprouvée depuis des milliers d'années. Le génie d'astrologues récents a changé les termes de l'interprétation pour s'évader du déterminisme en transformant les planètes en pouvoirs psychologiques. Dans cette nouvelle mesure, on se libère de la prédiction pour approfondir le thème natal et en faire un référentiel constant, ouvert sur les options transcendantales autant que sur les scories du subconscient.

Tout étant en connexion, il est naturel que le bébé soit, indépendamment de ce qu'il sent, le miroir de toutes les forces qui l'ont constitué. Dane Rudhyaraux éditions du Rocher, créateur de l'astrologie humaniste, présente des études qui confirment que nous appartenons au Tout d'une manière précise, unique, dont nous n'avons nullement conscience si nous ne tâchons pas de découvrir en quoi notre combinaison personnelle de talents est bien inscrite dans l'ordre cosmique — charge à nous de trouver la collaboration nécessaire. Il n'est certes pas nécessaire de cartographier les instances psychiques, de passer par l'horoscope, pour se livrer au mystère divin, et je ne sache pas que Mère et Sri Aurobindo aient préconisé cette approche, mais les principes qui fondent la sadhana et la thérapie se retrouvent clairement exprimés dans chaque thème natal. La marge de manœuvre personnelle s'inscrit dans un cadre plus large, la géométrie fondamentale des relations entre le moi et le non-moi, avec ses quatre figures,
la confusion entre les deux,
l'alliance constructive naturelle,
le conflit générateur d'expériences,
l'opposition radicale, source d'atermoiements.

Les astrologues qui sont capables d'une interprétation évolutive sont rares, et comme en analyse, ils ne peuvent rien transmettre s'ils ne sont pas eux-mêmes passé par une astrothérapie conforme à leur schéma de naissance, par un engagement exhaustif. Néanmoins, les psychothérapeutes et les instructeurs sentent parfois les conditions nécessaires à l'éveil d'un disciple ou nécessaires à la guérison — sans toujours parvenir à les communiquer.


10 Réconcilier le Soleil et la Lune


Notre culture résiste à l'évolution. L'occident aime la vitesse et la vénère, et beaucoup de personnes se retrouvent en thérapie car elles vivent trop vite, n'ayant plus le temps d'assimiler leur vie sociale, d'enfoncer correctement le non-moi dans le moi puisque la durée met les deux en contact mais sans les réunir. La crise est donc une manière forcée d'en revenir aux changements décisionnels, qui aménagent l'usage du temps. Quand cette voix monte et dit je ne veux plus être ce qui m'arrive, (car c'est insupportable !) les pouvoirs supérieurs de l'esprit peuvent se manifester si la vulnérabilité est accueillie. Encore faut-il ne pas se braquer, et cette opération intérieure est parfois difficile, puisque certains ressentis psychologiques sont convaincus de la réalité absolue de la blessure. Si l'esprit ne va pas chercher plus profond des pouvoirs indépendants du non-moi, capables de s'abstraire de l'événementiel, les préjudices sont pris au sérieux avec une gravité indécrottable, comme si l'environnement seul avait force de loi.

L'horoscope va nous présenter un moi sensible, imprégné des constellations du contexte et du moment, le moi lunaire, qui trouve des choses «inadmissibles» et aiguise nos résistances vis-à-vis du Réel, c'est lui le responsable de la dictature du petit moi, avec ses indignations emphatiques qui n'améliorent rien. Le moi lunaire cache une sorte de moi fondamental, en amont des événements, et qui non seulement ne se soumet pas à eux, mais peut les transformer. Or la prépondérance du moi lunaire et celle du moi fondamental, qui devient solaire par la sadhana, varie d'un individu à l'autre. Certains sont trop marqués par les événements, rien ne peut les en détacher. Ils vivent dans un monde d'attentes et de peurs. D'autres sont si centrés sur eux-mêmes qu'ils se jugent invulnérables, mais ils risquent de se scléroser dans de nombreux domaines, grâce à leur force sélective, leur autoritarisme, leur détermination étriquée.

Cette approche donne les mêmes résultats dans des traditions différentes, grâce à une longue pratique pour éviter les particularismes et retrouver la totalité psychologique dans la distribution des rôles des sept symboles. C'est l'ancienne théorie des correspondances qui a poussé très loin le raisonnement analogique, exprimé dans la célèbre formule d'Hermes Trismegiste, ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, par le miracle d'une seule chose, ce qui veut dire qu'une certaine lecture des événements révèle les principes qui les manifestent.

L'énoncé des structures psychologiques obtenues par l'horoscope ne permet pas de les transformer facilement mais il a le mérite de hiérarchiser pour chacun les difficultés existentielles, de pointer les prédilections et les aversions naturelles, et donc de révéler quels types d'événements seront accueillis ou rejetés selon leur nature — permettant ainsi un chantier de transformation. Ce qu'on appelle aujourd'hui un travail psychologique en thérapie, ou un travail de détachement sur le chemin de la quête. Les enjeux surgissent naturellement et il suffit de percevoir la nature énergétique codifiée dans l'horoscope pour dévier la fatalité. Certains «programmes» existentiels se dessinent. Et s'il y a bien deux choses qui comptent pour tout le monde, c'est le soleil et la lune.


11 L'Or et l'Argent


Le soleil renvoie au moi proprement dit, en dehors du temps, la lune renvoie à la manière sensitive dont le non-moi, l'altérité suprême, est captée par le moi dans la succession des instants. Ces considérations sont en fait très importantes, car les individus peinent à guérir ces deux fonctions qui prennent les coups en première ligne. La fonction solaire se soucie de l'identité intemporelle, du moi qui résiste au passage de la durée, qui s'imagine immuable à tort ou à raison, et qui veut et qui sait se représenter à lui-même en s'abstrayant de la succession temporelle — c'est l'or naturellement. La fonction lunaire au contraire s'occupe de traiter l'événementiel et de le ressentir, de relier l'éphémère au moi stable, et cela devrait être, en principe, de la qualité de l'argent. J'ai observé qu'on peut guérir facilement le soleil ou la lune blessés, mais rarement les deux à la fois. Pour guérir les deux, le yin et le yang doivent se réconcilier, alors qu'ils auront perdu leur complémentarité quand le choc ou la crise se produit.

Certains viennent à bout des émotions préjudiciables engendrées par un choc, et croient tourner la page facilement, mais leur identité peut rester blessée. Une blessure profonde, dite narcissique, laisse une plaie qui traîne à devenir cicatrice. Cela concerne les individus forts, qui ont une image d'eux-mêmes précise et indépendante des événements, et qui aiment manipuler le temps, qui ont horreur de se décevoir, qui se sentent capables d'imposer à leur vie leurs décisions, en confondant leur vie et la vie. L'orgueil, la vanité, l'amour-propre, les aident à s'enraciner, aussi feignent-ils souvent d'avoir résolu un problème car ils l'ont réglé dans le monde extérieur. Mais les traces subsistent dans le monde intérieur, comme si le fait de s'être déçu eux-mêmes était impardonnable. D'autres, au contraire, peu marqués par les qualités yang, détermination, volonté, ambition, dynamisme, mais sensibles à l'instant et meubles devant l'événementiel, ne sentent pas leur identité entamée par une grosse épreuve car ils n'y tiennent pas autant que cela vu qu'ils s'abouchent toujours au non-moi et lui font confiance, mais en revanche ils traînent longtemps, trop longtemps, les souvenirs traumatiques. Le passé revient, à intervalles réguliers, comme de la mémoire vivante agressive, leur rappeler une faille, une blessure, ou seulement un choc dont ils ont été victimes.


12 Le Yin et le Yang


La polarité, l'équilibre actif/passif, masculin/féminin, rigide/souple, ouvert/fermé, clair/confus, doit toujours être analysée et comprise, en alchimie, thérapie, ou dans une quête intuitive saine, qui ne se met pas martel en tête pour libérer le passé. Dans tous les cas de figure, l'excès de fermeté engendre une attitude rigide, dure, autoritaire, excessivement préventive; l'excès de souplesse provoque une attitude lâche, molle, soumise aux circonstances, dangereuse par négligence. La notion du lâcher-prise, que Lao-Tseu a utilisé dans la métaphysique chinoise pour en faire le principe du non-agir provient d'une époque spirituellement supérieure à la nôtre où il était tout à fait commun de compter sur la bienveillance du Ciel pour régler des problèmes personnels. Les hindous aussi, avec la notion de naïshkarma, révèlent que ce qui vient d'au-dessus de nous est supérieur, qu'une ouverture transcendante vaut mieux qu'un labeur fermé sur soi-même, travail insuffisant puisqu'il méprise l'aide qu'on peut recevoir du cosmos, en tant qu'intelligence, puisqu'il sous-estime le pouvoir du non-moi sur le moi. Nous avons certes le concept de grâce, mais il est presque toujours entaché de connotations religieuses qui le réduisent. Ce lâcher-prise est indispensable à pratiquer pour soigner le soleil et la lune intérieurs simultanément. Chacun a plus de mal à lâcher prise d'un côté ou de l'autre, soit du côté du moi, le soleil, soit du côté du non-moi, la lune, puisque c'est elle qui fait du phénomène une réalité.


13 Le Pardon, valeur universelle


Le yang, le sujet intrinsèque par rapport à lui-même, doit être désinfecté de sa blessure narcissique en se pardonnant à lui-même, et le yin, le moi en adhésion au non-moi, c'est-à-dire le moi étendu dans des séquences successives, doit être nettoyé des mémoires traumatiques et capable de pardonner à la vie et aux autres. Chacun est mieux à même de se pardonner à lui-même ou de pardonner aux autres. Savoir pardonner au moi autant qu'à l'autre relève d'une démarche profonde, qu'on ne peut s'approprier par quelques ficelles. L'esprit inférieur aime la vengeance qui renchérit la défense du territoire, et agit sur les endorphines pour en faire une pulsion dirigée contre les auteurs réels ou imaginaires d'un préjudice. Or il semble bien que le pardon soit le moyen par excellence de libérer les mémoires (peut-être pas sur le plan physique qui nécessitera repos, massages, exercices du souffle), mais sur les plans émotionnel et mental, par où il convient de commencer si l'on ne veut pas reproduire les mêmes schémas. Le corps libère bien plus facilement les mémoires traumatisantes quand au-dessus le travail a été fait par le pardon — une manière d'autoriser, a posteriori, ce qui avait été défendu: être offensé par l'autre, par la vie, par le contexte contingent toujours prêt à menacer l'ordre intérieur des souhaits et des attentes.

S'abstraire du temps qui coule, et voir qui l'on est sans lui, est un des buts informels de toute méditation. Le moi solaire et le moi lunaire ne se distinguent et ne s'opposent que pour mieux se réunir dans une dialectique infinie. Ils forment un seul mystère. Voici notre vécu ramené à des antagonismes dynamiques, créateurs de conflits par définition, à plusieurs alambics d'interprétation qui distillent chacun sa liqueur ou son venin et se rejoignent dans un lieu unique où l'on se débat, où l'on souffre, où l'on s'interroge avec une intensité poignante, incoercible, terrifiante.


14 L'image de soi


Si le soleil représente l'identité, il en comporte aussi l'image — toute identité est volonté d'être, d'être ceci plutôt que cela. L'échec, le traumatisme, parfois la lourde épreuve viennent fermer le verrou du processus de différenciation personnelle. Le soleil nous oblige à adhérer à nous-mêmes. L'image de soi que nous possédons ou cultivons, est rudimentaire, aussi suffit-il de profiter d'une crise pour l'investir, voir ses fondements, et se l'approprier. Elle est souvent contaminée par les images que les autres se font de nous. L'adversité la remet systématiquement en question. Si cette image est soudain défigurée, elle nous oblige à revoir ce que nous croyons être, le seul moyen d'ailleurs de trouver un nouvel emboîtement dans le Tout.

La lune, par sa viscosité suprême nous oblige au contraire à ressentir l'événement présent avec un impact inévitable, propre à déclencher la réactivité émotionnelle, la sensiblerie, la plainte. Nous sommes parfois pris dans un étau, où l'on ne peut plus adhérer à soi-même en se reconnaissant en même temps partie prenante du moment. Ce sont ces moments-là qui déchirent le moi et le temps, qui séparent le moi du non-moi, et dont le viol est l'exemple le plus symbolique. Ce sont les facteurs de cet ordre qui envoient le sujet en thérapie, mais par la subtilité même de l'esprit, l'étau a pu jouer longtemps sans qu'on ne s'en rende vraiment compte. Un accident brusque ou au contraire une longue dérive, peuvent amener aussi bien l'un que l'autre la séparation radicale, la crise. Une incompatibilité foncière, concrète, s'est manifestée dans le principe de relation du moi au non-moi. Les deux réalités fondamentales ont été séparées, et le chemin du retour vers l'unité n'est inscrit nulle part.


15 La complexité du septénaire


De multiples influences extérieures et d'innombrables facteurs intérieurs se mélangent et président à la formation de ce que nous nommons les «contenus psychologiques». Mon but n'est pas de vous envoyer chez le psychothérapeute, mais de vous faire accéder au savoir-faire que certains professionnels ont la chance de pouvoir développer. Une vision dans laquelle l'esprit apparaît enfin comme obéissant à certaines lois générales.

Nous avions établi qu'il n'y avait que le moi et le non-moi !
Mais comme dans un couple, il y a la relation entre les deux, c'est une performance de tenir le moi en équilibre avec le non-moi par les différents types d'échange qui s'effectuent, depuis les sensations jusqu'aux valeurs abstraites.
Et c'est le travail de l'esprit.

Voilà pourquoi il est convenu que partant du moi central sept flux différents débouchent dans le champ du non-moi et y coulent chacun à la recherche de ses propres objets. Cela donne une méthode générale d'investigation des trois acteurs de l'existence, le moi, le non-moi, et le moment qui les traverse, les sépare ou les réunit. Les conflits, les choix, la nécessité de découper le temps extérieur en activités, et le temps intérieur en valeurs et priorités, voilà le tableau. Si l'on aime faire des recoupements, le chiffre sept ramènera naturellement aussi bien à l'axe vertical des chakras, qu'à la subdivision fondamentale de la lumière en couleurs. Collaborer à ces flux psychiques (en découvrant les conditionnements qui les structurent par l'éducation, l'environnement, les trauma refoulés, les constellations de faits non intégrés qui parasitent l'identité), tel a été le conseil que Rudhyar a donné toute son existence, lui qui a prolongé la quête des Rose-Croix et rêvait d'un «plerôme», une humanité d'amour, libérée de la conscience du territoire.


16 Le chantier alchimique


L'image de soi et l'image du Tout encadrent les mécanismes de notre perception. L'image de l'autre est à la fois intérieure (Vénus) et liée à l'expérience sexuelle (Mars), ce qui pose d'emblée la question de les faire correspondre. Les schémas familiaux et leurs images intérieures interfèrent avec les relations, et interagissent et se renforcent (relation lune/Saturne). Un «mauvais» père par exemple semblera d'autant plus mauvais que le Saturne astrologique de l'enfant sera, en termes techniques anciens, maléficié. L'autorité excessive ou déficiente mettra en valeur le saturne intérieur. Bien que nous aimerions nager dans l'unité, et qu'on présente d'ailleurs l'éveil comme l'accès à l'unité du Tout insécable, toute notre existence dépend de la dualité, le non-moi objectif est filtré dans les pochoirs des structures psychologiques individuelles.

Freud a ouvert la voie, Jung l'a élargi, Rudhyar, plus philosophe qu'astrologue y a semé l'idée d'un potentiel évolutif et unique pour chacun, que sa connaissance des traditions et la lecture de son contemporain et aîné Sri Aurobindo lui ont permis de concevoir. Depuis, la floraison des arts de conseil nous oblige d'une part à reconnaître que certains termes techniques en thérapie ont une valeur universelle, et qu'ils gagnent le langage courant, et d'autre part qu'il est utile de les réduire à leur expression la plus essentielle et qualitative, pour les utiliser dans n'importe quel contexte. Blocage, refoulement, transfert, inhibitions, et enfin, faire une projection, qui veut dire habiller l'objet de ses propres valeurs, sont des termes qui gagnent du terrain.


17 Le verbe impitoyable


Le moi est simultanément multiple et un. Il est possible de se battre entre initiés sur le nombre d'invariants fondamentaux, ce que font encore les hindous et qu'aimaient disputer les anciens grecs. On peut ramener le sept à trois, avec le ternaire du corps, de l'âme et de l'esprit, et prétendre que cela suffit à tout expliquer. On peut jongler avec le yin et le yang, et décrire tous les possibles avec le plein et le vide, ou encore tout interpréter avec le seul couple de la conscience et l'énergie, comme le supramental. Il ne s'agit là que de conventions qui butent toutes sur le mystère, l'unité homogène du moi, qui centralise les sensations, les désirs, les émotions, les souhaits, les pensées et les sentiments, qui mélangent toutes ces cartes, et ne s'en contente point.

Le multiple moi est ordonné d'une manière qui lui échappe, mais ordonné. Freud ne disait pas autrement, et Lacan affirmait que «l'inconscient est structuré comme un langage». Les réponses que nous ne souhaitons pas donner, mais que nous donnons quand même parce qu'elles nous traversent et parviennent jusqu'à la parole, proviennent d'un fond subconscient hiérarchisé exprimant des mécanismes. Dès que nous nous comportons tels que nous ne voulons pas être (la colère est en général l'exemple type de cette situation chez les maîtres et les psychologues) nous laissons affleurer un ordre puissant qui prend en défaut notre petite organisation personnelle, un ordre qui déborde du cadre du moi. Pour la plupart, la limite est vite trouvée, les hommes vers la colère et l'agressivité, la violence / les femmes vers la peur, la ruse, la fuite, la dissimulation. Les hommes sont avant tout manipulés par un soleil archaïque, ils aiment fanfaronner, et un mars trouble, la moutarde leur monte au nez facilement. Les femmes sont soumises à une lune souvent sournoise, elles changent facilement d'humeur et de conviction, et à une Vénus à vue courte, qui séduit et se laisse séduire sur la foi des apparences, qui s'emballe par une sorte de préjugé favorable sur tout ce qui pourrait devenir gratifiant, à partir de peu.

Le je nous échappe et conjugue malgré nous, dans la colère par exemple, puisqu'on reconnaît, plus tard et dépité, qu'on n'était pas soi-même. Et d'autres exemples posent une question. Prononcer je souffre avec des larmes laisse entendre qu'on ne peut pas faire autrement. Parfois, les verbes sont forcés, subis, et cela nous agace. Le verbe conjugué à la première personne rend bien compte d'un fait, j'ai mal, je souffre, mais la phrase ne dit pas jusqu'à quel point le phénomène décrit est accepté, reconnu comme réel, intégré. L'émotion vient à la rescousse et enracine dans le moment les observations abstraites exprimées par la parole. On évitera tant faire se peut de dire je de la manière qui nous humilie et souligne notre fragilité. L'habitude de ne plus regarder là où ça fait mal devient une valeur, comme on zappe la télévision devant un massacre filmé en direct. Une partie de nous-mêmes fait le nécessaire pour se boucher les oreilles et fermer les yeux. Mais l'esprit fait son travail (en partie hors de la volonté), et provoque les émotions nécessaires pour souligner les faits refusés, et si nous contournons encore cette barrière, que nous refusons l'aveu, il descendra jusqu'au corps et nous mettra devant le fait accompli — par la maladie nerveuse, mentale ou physique.

Le mental est insaisissable et ne représente quelquefois qu'une partie de l'être, dont le corps dit autre chose. Et il faudrait taire tout cela, que l'homme n'est qu'une ébauche maladroite, un animal debout déficient, un prédateur royal que nul ne menace mais qui effraie tout le monde, même l'animal de la même espèce, une bête dépassée par le pouvoir de penser, et qui parle trop pour s'en venger. Nous sommes un brouillon. Sans un regard de feu sur nous-mêmes nous demeurons l'énième rejeton qui ne changera rien à rien, emmuré dans un passé répétitif déroulé sous forme de présent mécanique. Le mental constitue un pouvoir séparatif, un fabricant de cloisons supérieures, et c'est en écoutant le travail de l'esprit au-dessus de nous-mêmes, dans les chakras supérieurs, ce qui nous fait aspirer au Divin, et en dessous, dans le subconscient, ce qui nous montre les limites de la nature et la dimension de notre territoire, que la transformation s'opère.


18 Obscurité et lumière du septénaire alchimique


La question qui se pose est de savoir si la psychologie peut servir un dessein transcendant, tel que celui du christianisme de Teilhard de Chardin, de l'évolutionnisme divin de Sri Aurobindo, du Plerôme de Rudhyar, de l'homme sans attaches de Krihnamurti? Si nous entendons par psychologie l'étude des processus mentaux, de l'extérieur, cela est impossible. Nous ne pouvons réellement comprendre un fait ou une expérience que si nous l'avons vécu nous-mêmes. Mais si nous entendons par psychologie un savoir-faire à la portée de tous, qui permet d'explorer les mécanismes de perception, alors oui, nous pouvons répandre des patterns de compréhension nouveaux comme par exemple

nettoyer l'émotionnel, (PURIFIER LA FONCTION LUNAIRE)

et chercher son guide intérieur, (ASPIRER A LA FONCTION SOLAIRE), les deux démarches de base de la psychothérapie, qui s'épaulent, et amènent la transformation de toutes les autres fonctions. L'éventail psychologique tiré des correspondances avec le système solaire constitue un raccourci systémique pour avoir clés en main les principaux matériaux de l'être.

Le je est sept,

le moi, un arc-en-ciel.

Nous diffractons la conscience solaire en autant de pouvoirs correspondant aux corps du système solaire devenus des fonctions psychologiques. Les planètes intérieures font leur métier, elles tissent, elles tissent toujours plus de liens entre le sujet et l'objet, et c'est donc à nous, uniquement à nous, de découvrir leur utilisation la plus correcte.

Mars veut la satisfaction à tout prix, c'est le maître du désir.
Vénus veut l'amour partagé mais aussi du gratifiant stable, elle cherche à adhérer.
Mercure veut échanger et comprendre à sa manière souvent opportuniste, légère et versatile, il se délecte du oui et du non, mais son rôle n'est pas de trancher.
La lune veut ressentir et adhérer au moment et le dérober au Tout pour en faire du drame personnel.
Jupiter nous développe, nous rattache, nous donne un territoire partagé, nous invite à jouer à la grande personne qui peut améliorer ses connaissances, son quotidien, sa vie.
Saturne maintient tout ce cirque dans un statu-quo structuré avec des lois et des règlements; il préserve une quelconque autorité dans l'ensemble des autres pouvoirs, autorité reconnue comme principe à suivre pour rester au fond du trou, autorité formée par des mélanges de peur et d'idéalisme. Ce système peut tourner rond comme une horloge suisse toute une existence, et seul le soleil peut changer les cartes, exiger un autre arrangement. Mais rien ne peut contraindre le soleil.
Quand va-t-il se décider à vraiment éclairer la systémique intérieure?

La souffrance intolérable d'une part, qui incite le sujet à remplacer le vécu par l'ouverture obligatoire — soit l'accueil de l'inconnu par la nécessité la plus brute — et la présence de l'absence de l'éveil, de la connaissance, du Divin, d'autre part, vont creuser ce passage vers le Tout et le Moi, le soleil intérieur partant en quête de son père, le soleil de la Vérité.


Troisième partie: Le terrain de jeux de l'évolution



1 Le seuil évolutif


La quête ou la crise provoque toujours les mêmes questions:

- Puis-je m'en sortir, et si oui comment?
- Que dois-je faire, puis-je être aidé sans subir d'influence, ne vaut-il pas mieux essayer tout seul?
- Dois-je suivre ma propre voie contre toute autorité, ou me soumettre pour conserver amour, gratitude, sécurité?
- Que puis-je abandonner sans prendre le risque de tout perdre?
- Puis-je résoudre un problème particulier sans toucher au reste?
- Ai-je intérêt à guérir mon mal-être, si par exemple, cela me pousse à divorcer, à changer de métier?
- Un changement dans un secteur ne va-t-il pas entraîner toute une suite de métamorphoses pour lesquelles je ne suis pas réellement prêt dans d'autres domaines dont je me contente?
- Comment accueillir plus de doutes, alors que ma position déjà incertaine est inconfortable?
- Comment m'en tirer en préservant le maximum de ce que j'appelle mon identité, tout en concédant le minimum de terrain nécessaire?
- Dois-je renoncer à savoir où je vais pour mieux évoluer, jusqu'où s'exerce mon contrôle, et qu'est-ce qu'on va penser de moi?
- Quels sacrifices suis-je prêt à faire pour changer ma vie d'une manière réellement satisfaisante?
- Jusqu'où le jeu en vaut-il la chandelle si je décide de vraiment évoluer, ne vais-je pas à la rencontre d'obstacles encore plus nombreux ou pires?

La souffrance intérieure peut être entérinée par un statu quo mental, mais en pratiquant l'alchimie, nous chercherons à identifier quelle blessure fondamentale affecte un des pouvoirs du septénaire. Les blessures, que nous identifierons en détail plus tard, sont nécessaires. Elles permettent au moi de reconnaître la complexité du non-moi — l'existence et les objets, et de distinguer le temps du champ auquel il nous relie pour obtenir un nouveau contrat. Elles ouvrent aussi l'abîme du moi, l'investigation sur soi-même, qui va départager les pouvoirs yin de l'identification des pouvoirs yang de la différenciation.


2 La prévention traditionnelle


Le bouddhisme pointe le désir et la peur, et nous invite à observer nos processus mentaux, tandis que l'hindouïsme, avec l'opposition Conscience/Energie, souligne la suprématie de l'œil qui échappe au mouvement, le purusha, la conscience-témoin. C'est l'Inde qui insiste sur le fait que nous sommes prisonniers du mouvement, et prône une vigilance suprême pour éviter d'être entraîné n'importe où par la vitesse de la vie. Les doctrines chinoises, qui semblent moins ambitieuses, proposent de rendre conscients les mouvements (automatiques) du corps et de l'esprit, pour en recouvrer le naturel pur — la finalité dans l'ordre cosmique, en préconisant simplement d'être éveillé à chaque instant, c'est-à-dire capable de différencier si l'on émet (yang) ou si l'on reçoit (yin). Le mouvement est alors bienvenu, d'autant qu'il peut être considéré, d'un point de vue métaphysique, comme l'essence de la Manifestation. Il s'agit donc de la même réalité psychique que la thérapie investit et que la tradition démêle: c'est le mélange ininterrompu de ce qui est perçu avec ce qui perçoit. Quand tout va bien, ce n'est plus la peine de distinguer le moi du non-moi, le sujet de l'objet, l'identification, la reconnaissance spontanée du milieu se produisent sans coup férir. La durée est instrumentalisée. Le pêcheur du dimanche qui sifflote en se rendant près de la rivière oublie ce qu'il est et se laisse aller à son moment de loisir en rêvassant, les couples nouvellement formés, toujours euphoriques, coïncident dans leurs désirs et préoccupations, le prêtre qui s'oublie dans son sermon et qui touche l'enthousiasme, l'inspiration, exprime spontanément le dimanche l'essentiel de ce qui constitue sa vie, sans effort comme si tout allait de soi. Mais ce même pêcheur perd son calme quand ses enfants le contrarient, le prêtre, s'il tombe amoureux, se culpabilisera et s'arrachera les cheveux. Les couples se déchirent une première fois, quand la lune de miel se termine. Le moi et le non-moi peuvent devenir incompatibles, et le temps se refuser à les lier. C'est une force de distinction qui se manifeste, elle implique donc une multiplicité, le sujet et l'objet — et les facteurs qui s'immiscent entre eux.

Le seul problème, c'est que ce qui nous dérange n'est pas nécessairement hétérogène (mais seulement considéré comme tel par l'ego), tandis que ce qui nous agrée est parfois réellement hétérogène (sans que nous n'acceptions de le voir) cas courant des passions destructrices, des addictions, des compulsions, des complexes. Le moi se trompe donc à qui mieux-mieux dans sa relation au non-moi et à l'altérité, et tandis qu'il peut inventer des préjudices imaginaires et les matérialiser, il peut également ignorer de véritables blessures, ou les minimiser. Mais le corps lui, s'en souviendra, par l'action mystérieuse de l'esprit qui le sert indépendamment de notre volonté et assentiment, et qui sanctionnera le déséquilibre. La fracture événementielle, le choc, la déficience de l'ego devant une catastrophe ou un sinueux sabotage du bonheur ordinaire, sont une source évolutive qui engendre une transformation. Comme le bébé finit par se rendre compte vers l'age de six mois qu'il est distinct de sa mère ou que sa mère n'est pas lui, ce qui revient au même, et qu'il en tire tout d'abord une rage terrifiante, puisqu'il saisit pour la première fois que l'objet existe et peut se dérober à ses attentes, ainsi les fractures événementielles créent-elles une souffrance identique, l'isolation du moi.

Dans tous les cas de figure, nous voyons bien qu'être noyé en permanence dans l'adhérence au non-moi n'est pas le seul procédé évolutif, bien qu'il prédomine dans la nature. Cela conforte nos tendances yin, lune, venus, jupiter d'une certaine façon, et neptune. Mais les forces de distinction, soleil, mars, saturne, uranus, transforment la viscosité, l'adhérence, l'identification. Le yang a sa place, c'est lui qui fonde le sujet, le sujet guéri en psychothérapie, le Moi, c'est-à-dire le soi, dans la quête divine. Jouer consciemment avec le Yin et le Yang, ou pratiquer une sadhana, cela revient à mener sa propre psychothérapie, et c'est finalement ce que la tradition préconise.

En tant qu'astrologue, je prévois l'occurrence statistique de ces grands moments où le moi et le non-moi deviennent incompatibles, comme dans un viol. Peu de personnes peuvent échapper à des configurations cosmiques difficiles, dont la probabilité est forte, à plus ou moins longue échéance selon leur horoscope. Transits uraniens, saturniens ou plutoniens, si l'humanité se sensibilise aux transformations actuelles de l'atmosphère, les occasions d'être rejeté par le non-moi, ou de se décevoir soi-même pour ne pas être à la hauteur des circonstances vont se multiplier. Même si le sujet n'en est pas responsable, il peut subir des contraintes auxquelles il ne sache pas faire face, comme les catastrophes naturelles ou les guerres. Les occasions de crise, les aides évolutives par conséquent, vont s'accroître.

Le non-moi devient provisoirement l'adversaire du moi.

Distinguer patiemment ce que l'on est des contextes concentriques auxquels on s'identifie, territoire, famille, image de soi, image du monde, permet de reconstruire le moi sur de nouvelles attentes. Elles seront plus dépouillées, informelles, essentielles. La responsabilité personnelle sera plus vivace, le bouc émissaire aura disparu, puisque la victime, elle aussi, aura été expulsée.


3 Le paradigme de la mutation Supramentale


Un moi-je pluriel est maquillé par le triomphal moi-je totalitaire de la pensée, trichant, prétendant, tirant des plans sur la comète — mais anéanti dans une souffrance vraie ou devant une vérité nue. Le sujet dispose d'un appareil psychologique complexe, qui ne se borne pas au moi, au ça et au surmoi freudiens — mais qu'il ne peut apprendre à utiliser que par lui-même, puisque la nature le pousse seulement aux identifications, et à quelques lueurs sur le caractère qui l'anime, et qui le préserve avec quelques tendances réfractaires. La collaboration du moi est nécessaire pour que soient utilisés d'une manière conforme les éléments à désenchevêtrer des instances psychiques, et dans cette mesure, le principe apparaît clairement être le même dans la sadhana et la psychothérapie. L'identité se met en quête de percer le voile qui lui interdit la vision du réel, compte tenu du fait qu'il sera compris que ce voile n'est pas à l'extérieur, puisque les yeux voient, mais à l'intérieur, comme une paire de lunettes subtiles. Les exemples sont faciles à donner et quand bien même ils sont ici exposés dans un jargon particulier, ils recoupent l'expérience des maîtres et des thérapeutes, aux prises avec le conditionnement psychologique de leurs disciples ou patients.

Le soleil, qui donne le sens de l'identité, peut être faible et enfermer la personne dans la dépendance et la conserver sous des influences multiples. (Il suffit d'utiliser les critères de l'astrologie pour trouver des personnes dont le soleil est à rehausser, car il ne veut ou ne peut pas, allez savoir, briller. Le moi s'autorise seulement à raser les murs et à confondre l'humilité et la lâcheté). Aidé de la conscience supramentale, que j'expérimente depuis 1977, je cherche à libérer le potentiel solaire des personnes que je rencontre, en les impliquant dans leur vie, et la reconnaissance de leurs structures psychologiques. Ainsi, elles peuvent gouverner les relations entre le moi et le non-moi, tout en lâchant prise — en attribuant au moment le pouvoir souverain de révéler, de trancher, de contredire.

Si jamais tous les handicaps révélés par une lecture du thème natal, étaient spécialement étudiés pour l'évolution, cela voudrait dire que le soleil fait son chemin par l'obstacle et le multiple.

Les pouvoirs enfermés de la lumière, dans les védas, le mystère du mental qui veut percer les voiles et embrasser le Tout, cela caractérise les Upanishads, l'éloge de la connaissance, supérieure aux œuvres, remplit les œuvres sacrées de la Chine, Lao-Tseu, Tchouang-Tseu, Lie-Tsi. La perforation des apparences se promène aussi chez les meilleurs grecs, étonnamment nombreux, de l'antiquité, et Platon décrète que les phénomènes ne sont pas le réel mais une toile de fond seulement, un mythe similaire à celui que les rishis exposent dans les védas, un conte qui rappelle singulièrement le samsara et la Maya. Peut-être est-il nécessaire avant tout de se sentir enfermé, limité, ratatiné, confiné, prisonnier des dieux, — ou des planètes si vous préférez, cela revient au même, pour s'élancer sur la piste du temps vierge où tous les carrefours sont solaires, qu'ils mènent à l'échec relatif ou à la victoire facile, sur un chemin infini, libéré de la crainte du non-gratifiant et de l'attente infantile. Peut-être que la lumière ne peut pas être reconnue comme nécessaire avant que l'obscurité nous fasse mourir une première fois.

Le choix spirituel serait alors plutôt une nécessité évolutive qu'une décision personnelle. Dans les états de conscience où toute la vie est sentie comme une manifestation du Suprême, il est clair que les êtres se limitent à ce qui leur procure des satisfactions réelles. Si choisir la voie est une nécessité, le moi ne trichera pas, il s'y engagera sans réserve, guidé par l'intuition que c'est la seule chose à faire. S'il s'agit de quelque luxe ou d'une comédie quelconque, ou encore d'un mouvement dû à des influences extérieures, l'exigence du travail demandé semblera bientôt intenable. Pour la psychothérapie, l'aborder dans un état d'urgence est également nécessaire, pour qu'elle ne soit pas seulement une décoration de l'ego, une coquetterie. Le danger est le levier de toute mutation. Comme le dit Satprem, l'obstacle est l'allié. Sri Aurobindo et Mère ont découvert l'Esprit-Matière par un processus inconnu des hommes, la supramentalisation, qui vient couronner l'ascension évolutive en permettant à l'humain de recevoir par les centres subtils du corps l'énergie-conscience de l'univers. Leurs conclusions sont identiques. La manipulation de la nature s'exerce d'une manière impériale sur les générations et seule l'investigation exhaustive du moi par lui-même libère l'espèce, brise les aliénations généalogiques, entraîne l'épanouissement de l'être.


4 Le mystère des correspondances synchrones


L'astrologie traditionnelle par le travail de Kepler sur la géométrie, annonce l'ébauche d'une astrologie pratique, et fournit la piste des mesures des puissances planétaires, des forces psychologiques, par les aspects et les angles. C'est assez renversant au début, et plusieurs années sont nécessaires pour comprendre. Ce qui arrive dedans et dehors coïncident, fait troublant pour le chercheur, découverte que Jung avait déjà effectuée par le yi-king des chinois. Le charme des correspondances opère, et pour exprimer le principe simplement, disons que, quand quelque chose de rare arrive, l'on ne sait pas s'il faut originer l'occurrence dans le ciel qui fournirait de l'événementiel, ou dans l'univers psychologique qui fabriquerait une occasion correspondante. Les plans se superposent et dansent, et c'est même merveilleux de cohérence: les événements saturniens enclenchent des états de conscience saturniens, et réciproquement. Le mental préférerait décréter soit que le dedans produit le dehors, l'état d'âme provoquerait l'événement, soit que le dehors produit l'humeur, l'occasion déclencherait le ressenti approprié. Prenons un exemple. Les cartésiens pensent que les «mauvais» événements président, qu'ils nous attendent au coin d'un bois, et qu'un deuil arrive et engendre la tristesse et la mélancolie, saveurs saturniennes par excellence. Dans cette optique, les événements chronologiques saturniens appellent les contenus psychologiques correspondant, et le non-moi commande au moi. Les humanistes décrètent l'inverse, que les fonctions psychologiques possèdent des cycles et que c'est souvent dans une période saturnienne (il existe différents critères pour la définir) que l'on va perdre un de ses parents ou son conjoint ou son enfant, ou son emploi, à moins que l'on sente profondément une autre sorte de perte: celle de la confiance dans l'existence. Nos humeurs intérieures, en affinité avec les critères de l'horloge cosmique, attireraient des événements physiques, concrets, en résonance. Dans ce cas, le non-moi obéit au moi.

Tout le monde a raison.

C'est le même principe.

Certains énoncent que les vibrations subtiles de l'être en complicité cosmique amènent la matérialisation des événements clés (deuil, accidents, mariage, maladie grave, par exemple). Les autres pensent qu'une fatalité incoercible, inscrite dans des moments particuliers, distribue des faits concrets, des catastrophes ou des contrats majeurs, et qu'ils impliquent donc des contenus psychologiques similaires, l'esprit alignant en toute logique son ressenti sur la nature des événements. Cette vision si poignante est contenue dans la table d'émeraude (ce qui est en haut est comme ce qui est en bas), au service des alchimistes, qui étaient nécessairement des astrologues, alors que l'on admettait déjà dans les cités anciennes que la position de Mars et de Saturne, visibles à l'œil nu, étaient loin d'être innocentes en politique. Tout le monde admet aujourd'hui (en particulier les psychothérapeutes et les instructeurs) que nous attirons, par notre simple attitude, certains types d'événements, comme d'autres qui arrivent par eux-mêmes nous mettent en demeure de trouver en nous une force inconnue pour y faire face. Les deux principes sont exacts, les plans s'emboîtent, l'objet renvoie au sujet, le sujet à l'objet. Les préoccupations intérieures et les motivations déterminent une large part des décisions, donc du vécu. Extraire la part maudite de la vie pour y substituer une vigilance permanente, telle est le principe de l'adaptation.

Si la distinction entre le moi et le non-moi n'est pas entretenue par des examens de conscience naturels, le mal-être un jour s'impose, qui va ouvrir la porte à une révision. Le corps ne ment plus, les émotions témoignent. Ce sera la dernière fois que nous serons victimes. Après quoi, nous serons responsables.


5 Transformer le désir


C'est le roi de la Manifestation, rien ne lui échappe. Il se glisse dans la faim et la soif, dans la sexualité, il provoque la convoitise, le diable en quelque sorte du bouddhisme. Sa place n'a jamais été clairement établie, et sur ce sujet, où les femmes ont tant à dire, les hommes ne les ont jamais laissé parler. Le désir transcende tous les paradigmes, par ses subdivisions infinies, ses racines profondes dans l'animalité, ses fleurs et ses feuilles dans les souhaits d'accéder à l'Etre pur.

Par-delà le nom, est-il possible d'entrer en contact avec ce flux émotionnel, parfois physique, et de voir les mouvements du moi manipulé par le désir? La répartition astrologique nous y invite avec une souveraine candeur car nous trouvons le désir associé au soleil et à la lune, mais sous des formes spécifiques et dérivées, puis aux planètes Mercure, Vénus, Jupiter et Saturne, Saturne comportant même du désir anti-désir ! Il est vraiment partout, à vif ou déguisé, franc, sournois ou paradoxal, partout présent aux sens mêmes de l'esprit. Le désir pousse dans Mars et en tire son origineMars maître du Bélier et de la maison I ou maison du moi, et maître du Scorpion, ou de la maison 8, maison du non-moi, mais il traverse Vénus qu'il encourage, et séduit le soleil, comme il manipule la lune et la torture pour qu'elle conserve l'objet convoité, et comme il donne la jubilation à Mercure, et l'enthousiasme à Jupiter. Toute la psychanalyse tient dans un psychodrame entre les planètes (fonctions psychologiques) et les légendes de la mythologie grecque semblent former une dynamique des tendances du moi pour qui saurait y lire la tragédie du mouvement de la psyché.

Le calcul du thème radical (ou de naissance) sert avant tout, pour un esprit qui expérimente que rien n'est séparé, à emboîter l'individu dans le grand cycle cosmique, et à en tirer quelques déterminations qui seront ses repères, quelques couleurs. Ces déterminations sont élastiques et une marge de manœuvre individuelle peut dégager le moi solaire de l'enchevêtrement cosmique des pouvoirs du moi, le désir doit s'épurer, sans cesse, et devenir désir d'être, celui qui transcende tous les autres.


6 Accueillir les courants transcendants


Le souverain Neptune joue dans notre esprit. Le sentiment d'osmose entre le moi et le non-moi est plus ou moins prépondérant chez chacun, et l'on y fait face de différentes manières. Etre alcoolique ou drogué, accepter le sentiment mystique d'une manière fantaisiste et dangereuse, ou dépendre pour «se la couler douce». Tout un éventail de procédés et de comportements permettent d'augmenter le pouvoir neptunien, des plus dégradants, comme l'ivresse outrée, aux plus lumineux, comme l'enstase. Le sentiment fusionnel impérieux, largement inconscient, gouverné par un Neptune fort, s'exprimera par tous les moyens possibles. Le moi pourra en varier les formes ou non, l'apprivoiser ou pas, le subir ou l'utiliser merveilleusement pour devenir plus conscient. Au contraire, une personne uranienne, allergique aux règlements et à l'autorité, sera obligée de vivre sa tendance d'une manière ou d'une autre, de la délinquance du chef de bande au génie transpersonnel qui précipite dans le présent les forces de l'avenir. Comme le neptunien vit pour tout et adhère à tout, et expérimente les protocoles fusionnels, l'uranien est toujours contre, vit contre tout, trouve naturel de s'opposer et suspect d'approuver, et il expérimente différentes formules réfractaires, provoque par instinct, essaie tous les moyens pour se distinguer. Le spectre de chaque tendance psychologique est un champ si large que des milliers de formes opportunistes lui correspondent avec toute une gamme de comportements rivés aux occasions, et un éventail intemporel de motivations.

La poussée évolutive peut être brutale, si tâtonnante qu'elle en est presque aveugle. S'éprendre du grand Yin, Neptune, ou du grand Yang, Uranus, nous ouvre seulement des champs de conscience non-conventionnels, mais le travail d'intégration demeure, après avoir rectifié les élans aux impulsions bourbeuses. Nous projetons les structures du thème sur des objets choisis, ce qui semble conscient, mais l'énergie se disperse alentour comme une vibration, rebondit, et exprime parfois des constellations inconscientes.


7 Le retour à l'Unité


Sortir de l'infantilisme de la confusion moi/non-moi est un défi que peu d'êtres humains relèvent. L'état embryonnaire est celui de l'unité, et peut-être en portons-nous la trace ou la nostalgie. Nous pouvons retrouver l'extase de cette unité prénatale à un niveau supérieur. C'est la réalisation du Soi, que René Guénon appelle la Délivrance, et qu'on nomme aujourd'hui Eveil, pour recouper les différentes expériences des sages et des maîtres qui sont passés par là. Le sujet et l'objet sont identiques, comme le bébé d'avant six mois qui se prend encore pour sa mère. On aura donc, comme le dit Lao-Tseu, accompli le chemin du retour. La croissance de l'enfant révèle que l'esprit homogène identifié au non-moi par le moment même (lune) se dédouble avec l'apparition du discours, vers deux ans (Mercure), qui permet de mettre en scène le vécu et d'imaginer, puis se subdivise avec l'apparition du sentiment du moi par le caractère vers l'age de sept ans (Saturne), suivi de l'apparition du désir sexuel à l'adolescence (Mars), accompagné de près par l'apparition de l'idéalisme existentiel (Vénus), qui oppose au vécu un référentiel intérieur pour le gouverner, tandis que la tentation des rôles (Jupiter) viendra concilier les instances déjà apparues.

L'esprit possède sa propre embryogenèse. Les juridictions surgissent, tourbillonnent, instrumentalisent le moment, et parfois se l'arrachent. Les humeurs primordiales l'attestent, de la tristesse à la joie, en passant par toutes sortes de nuances. Nous avons toujours inventorié les mouvements de l'esprit, vertus cardinales et péchés capitaux, émotions-types comme celles répertoriées par exemple par le docteur Bach, mais peu d'êtres humains pratiquent la sadhana ou l'alchimie qui restitue l'esprit dans son pouvoir originel de s'unir au non-moi, rassemblé dans le soleil vainqueur des forces d'écartèlement centrifuge.


8 Désengrammer l'enfance


A l'age de six ans, ma mère me montrait comme un singe savant à ses amies, chez le coiffeur, car j'avais des yeux immenses, et elles s'esclaffaient toutes comme au zoo, une impression indéchiffrable d'agacement venant dilater encore mon regard, tandis que je faisais la moue. Ma mère faisait systématiquement ce numéro avec moi, alors qu'elle avait dû s'apercevoir que cela me perturbait. Aucune de ses amies, rencontrées chez le meilleur coiffeur de la bourgade, et encore moins ma mère, ne prêtait la moindre attention au fait que leurs jacasseries me dérangeaient, même si je me mettais à pleurer. Je me suis habitué à être peu écouté et pris en compte, mais en même temps je me suis rendu compte que les mots ne voulaient pas dire grand-chose, et j'ai renoncé à percevoir le monde avec le langage, et comme les sensations ne suffisaient pas, la présence de l'absence est devenue un compagnon de route, de sept à vingt-trois ans. Quand on reconnaît le caractère meuble de l'enfant, le pouvoir absolu du non-moi sur le moi par les chocs qui laissent des traces, on s'étonne beaucoup moins de voir autant d'adultes incompétents dans le domaine de la conscience. Celle-ci se sera spécialisée outre mesure dans certains secteurs et restera faible dans d'autres, mais l'ensemble fournit une adaptation sociale suffisante pour que la vie fonctionne ainsi, avec des hommes et des femmes qui sont, d'un point de vue supramental, inachevés.

Il est bienvenu de revoir son enfance où de nombreux mécanismes de grippage des fonctions psychologiques se sont effectués, quand le moment s'est présenté sous forme indigeste pour le moi, et que le sujet n'a pas su communiquer, ou empêcher le préjudice. Le grippage est tout à fait naturel, et nous en traiterons les formes essentielles plus tard. Le présent pur a toujours le pouvoir de nettoyer l'obscurité d'un passé très ancien, mais le patient ou le chercheur n'est pas toujours suffisamment convaincu du bénéfice de remonter aussi loin. Le supramental le fait de par sa propre autorité, et il est donc certain que la réhabilitation de la petite enfance permet de retrouver une spontanéité propice à saisir le moment éternel. Le but d'une analyse est, entre autres choses, de parvenir à extraire du plan émotionnel les préjudices et les trauma pour les abstraire et les objectiver, puis les intégrer dans une partie supérieure de l'être qui a davantage de moyens de les transformer ou de les dissoudre que les parties postées plus bas. Mais il n'est pas nécessaire de s'attacher à une forme thérapeutique, et le travail peut parfois s'effectuer seul, en particulier pour ceux qui savent respirer correctement et qui retrouvent facilement les états d'esprit d'un lointain passé.

Quand le moi est séparé du non-moi, il est traversé dans toutes ses parties, la souffrance est mentale (je ne trouve pas la solution), affective (il me manque quelque chose), émotionnelle (l'évocation de l'objet manqué ou perdu provoque des larmes ou des angoisses) et physique enfin: une contrainte évolutive fait somatiser, une partie du corps en prend pour son grade. En revanche, des signes avant-coureurs se manifestent chez l'adepte, qui n'attend pas que tous les plans soient contaminés pour intervenir. La quête, puisqu'elle est attentive, prévient de nombreux troubles, mais soulève des résistances qui resteraient endormies sans elle, du passé, personnel, familial, karmique, ou de la configuration énergétique astrale à modifier.


9 Unir Distance et Présence


Le vrai caractère ne s'exprime pas avant que des antagonismes puissants ne soient résolus, et ils apparaissent systématiquement à la lecture de l'horoscope, puisque les tendances psychiques s'écartèlent dans les quatre directions, nous mettant au défi de trouver au centre le soleil ou le soi, pour les harmoniser. Des virages s'imposent au cours de l'existence pour mieux équilibrer les forces et amorcer une manière plus subtile de se nourrir du temps. Une unité se révèle à un niveau plus conscient après les fractures événementielles qui imposent des remises en question profondes, dont la conscience aura profité. Ceux qui ont le sentiment d'avoir frôlé la mort, (et depuis peu j'en fais partie), trouvent très souvent que les personnes qui n'ont pas une expérience similaire «chipotent pour un oui on pour un non». La bataille contre la mort, sauf exception, tord le coup à la complaisance. Nous autres rescapés, nous nous reconnaissons entre nous, parfois d'un simple regard, nous bénéficions d'un gadget évolutif enviable: nous sommes à la fois plus présents et plus distants dans le moment. Je n'incite personne à jouer à la roulette russe sous prétexte que cela remet le prix de la vie à sa place, alors cherchons d'autres moyens pour bénéficier du regard du rescapé.

Là où beaucoup se noient dans un verre d'eau ou s'arrachent les cheveux, le survivant d'une part, et l'aspirant spirituel de l'autre, s'y prennent autrement. Il n'y a plus de fausse urgence, de petites peurs pratiques ni de désirs pressés. Mars est dompté et la lune apaisée, tandis que les attentes compulsives de Venus ont foncièrement diminué. L'alchimie commence bien par les tendances qui correspondent aux planètes qui encadrent la Terre. L'inépuisable lune qui correspond aux émotions, à la sensibilité, mais aussi à la sensiblerie, s'est décrotté de la peur de manquer de sécurité, le désir n'est plus avide de trouver son objet, les décisions sont réfléchies, les réactions de défense diminuent, Mars est plus éclairé, l'action plus homogène. Et tous les mouvements qui cherchent une adhérence fusionnelle au non-moi, qui idéalisent le moment et le nouveau, se remplissent maintenant d'une exigence supérieure, et d'une hauteur qui les dispense de s'identifier sans vergogne aux apparences gratifiantes, et Venus trouve un raccourci vers Neptune. Si les événements vraiment pénibles obligent l'esprit au recul (appelant l'arbitrage du soleil et de Saturne), ils agissent comme la méditation qui permet de se distinguer du non-moi.

Le sujet tire le rideau pour observer ses comportements d'une manière détachée, s'il médite, mais parfois c'est la vie elle-même qui donne cette leçon comme un enfant qui apprend à nager en tombant dans l'eau pour survivre. L'être humain se trouve alors harcelé par son propre mental, soudain, sans échappatoire, faute d'avoir su auparavant l'utiliser pour des remises en question régulières. L'évolution humaine, c'est le moi qui transforme sa position vis-à-vis du temps qu'il avale et qui l'avale. Car les deux se nourrissent l'un de l'autre, thème qui sous-tend la Bhagavad-Gîtâ, pour laquelle l'action pure, inspirée du non-agir, soustrait l'âme du chercheur de feu au prédateur du temps Kala. Tout ce qui arrive devient le moyen d'intervenir en profondeur sur notre propre existence en investissant les forces qui nous traversent. Nous refusons alors de manger le temps n'importe comment, et nous refusons au temps le privilège de nous avaler selon son bon plaisir. Le mariage du soleil et de la lune, après qu'ils auront été identifiés, séparés, opposés et réconciliés, constitue l'expérience alchimique primordiale, appelée conjonction dans les textes anciens. Ceux qui ignorent ou refusent la leçon de l'accident, de l'échec, du deuil, manquent les nouveaux seuils adaptatifs et risquent de voir pousser en eux certaines fonctions psychologiques occupant l'espace vital des autres, aliénant le présent aux obsessions du passé et aux compensations de toutes sortes, alors qu'un simple moment de sincérité permettrait d'ouvrir le chantier psychologique.


10 Les soubresauts de la Nature


Pour le moment, ces analogies nous intéressent, entre la poursuite de l'éveil et la psychothérapie, quelle que soit sa forme, puisque dans les deux cas l'organisation multiple du moi présente des matériaux hétérogènes, qu'il faut identifier, rejeter ou assimiler en les transformant vers l'unité homogène. Dans les deux pratiques, une inspection des comportements est nécessaire, inspection dont, répétons-le, il n'y a rien à attendre de particulier, car ce serait alors une observation truquée, non pas libératrice, mais seulement chargée d'imposer un nouveau contrôle dans le prolongement du passé. Contrôler son esprit alors que «tout fout le camp» permet de se donner le change, pour se rassurer, avant le lâcher-prise exhaustif. Dans les périodes difficiles, l'esprit peut se cabrer comme un cheval sauvage, désarçonner le sujet, et révéler au moi que son identité n'est qu'une sorte d'excroissance subjective au sommet de la vie du corps et de son énergie vitale. Quelle humiliation alors qu'une dépression, une crise, une maladie grave, une chute sociale importante ! Le moi défaillant résiste le plus longtemps possible avant de s'avouer vaincu, et voilà pourquoi le maître spirituel était autrefois jugé indispensable dans l'ascèse. C'est lui qui pointait chez l'adepte la récupération des principes spirituels par le mental, ou l'ego, et qui aidait son disciple à appliquer les vérités doctrinales sans les récupérer. Cela va de même pour les crises. L'identité construite n'aura pas su reconnaître à temps sa défaillance, elle s'accroche à elle-même, et veut emprisonner l'esprit au service de sa survie moribonde. L'esprit se plie un moment, puis se révolte. Le mal-être ne peut plus être nié, il s'est enraciné par des voies inconnues, comme celle du subconscient et du mental physique jusque dans le corps. Alors vient la dépression ou la maladie grave. L'occasion de transformer l'identité en faisant table rase. Pour beaucoup voilà une vision extrême à rejeter, puisqu'elle implique qu'ils ont toujours été malades de l'ignorance sans en être responsables — une malédiction donc, et c'est faute de ne pas avoir su y remédier que la situation a empiré jusqu'au grave avertissement qui tombe à quarante, cinquante ou soixante ans. C'est une vision technique, purement évolutive. Pour ceux qui sentent que l'espèce n'est plus capable aujourd'hui d'assurer l'avenir des générations qui viennent, c'est le diagnostic sévère et sain qui s'impose. Si le cancer témoigne d'une séparation ou d'une perte qui n'a pas été digéréeLa médecine sens dessus dessous, et si Hamer avait raison? Le grand dictionnaire des malaises et des maladies JACQUES MARTEL, Editions ATMA., présenter la situation comme je le fais confirme la nécessité de s'impliquer davantage dans la gestion de l'esprit, pour en découvrir les circuits entre l'intelligence, la vitalité et le corps, et prévenir ses mécanismes de défense et d'alarme par l'ouverture.


Quatrième partie: Pratique de l'Alchimie



1 Le trépied anti-évolutif


Le thème principal de cet ouvrage consiste à révéler les coercitions les plus profondes que nous subissons pour nous maintenir dans les cycles répétitifs, alors que l'appel spirituel ou la crise permettent de s'en libérer. Je présente le cadre précis des empêchements, et propose l'itinéraire de sortie. Je vous ai préparé à cette exploration par des aperçus théoriques, mais pour les rendre plus vivants, je tiens à parler de mon expérience qui m'a confronté à différentes «fausses portes», difficiles à identifier. Chacune diffère de l'autre. Nous pouvons toujours innover dans la manière de nous tromper, de nous conduire en fournissant des réponses peu adaptées. Je n'ai cessé de vivre pendant deux ans des régressions profondes, période pendant laquelle j'ai subi en profondeur les ruses de la nature qui cherche à préserver son territoire tout en m'empêchant d'installer la conscience supramentale dans mon corps. J'ai repéré trois types bien distincts de réponses particulièrement profondes aux événements non-gratifiants, chacun étant plus approprié selon l'histoire et le caractère du sujet à un champ particulier d'expérience.

Le recroquevillement ou fermeture,
l'agressivité et la violence,
la fuite et la désimplication.
Ces trois ruses, qui sont dans leurs formes trois procédures éloignées les unes des autres, travaillent dans la même direction, celle du passé. Ces adversaires vivent en nous. Dès que le principe de viscosité moi/non-moi ne fonctionne plus naturellement, que l'on se perd de vue soi-même dans le sentiment immédiat de l'existence, la ménagerie évolutive vient à la rescousse. Selon les cas, le même individu fuira dans un certain secteur, se recroquevillera dans un autre, attaquera dans un troisième. Ces procédures sont très utiles pour conserver la conscience archaïque du territoire et permettre la survie compromise, le singe moyen s'en sort bien, mais elles empêchent la conscience individuelle, et il convient de les étudier de plus près pour les différencier vraiment, puisque leur but rétrograde est le même. Le plus simple est que je me cite en exemple.

Aparté autobiographique


Je l'ai observé sur moi-même, car le supramental me pousse dans des retranchements parfois à peine supportables où je touche et ressens toutes les forces archaïques. N'ayant pas eu une enfance si heureuse que cela, j'ai adopté une stratégie de désimplication vis-à-vis de la réalité de la famille, ce qui m'a permis de ne pas en rajouter sur une situation que je savais intuitivement ne pas pouvoir changer. J'ai fait comme si ça n'existait pas. J'ai minimisé au maximum la responsabilité de mes parents, de manière à n'avoir jamais rien à leur reprocher. En revanche, j'étais souvent triste de revenir à la maison après une journée passée dans la famille de mon meilleur ami, où je me sentais aimé et respecté plus que chez moi, regrettant presque de ne pas être son frère. J'étais triste quand je revenais du Noël chez ma tante, la sœur de mon père formant un couple très uni avec son époux, avec trois enfants choyés. Bref, j'ai passé là-dessus toute ma vie, mais maintenant le supramental descend parfois dans les plus vieilles mémoires. Et il y a quinze jours seulement, je me sentais mal. De retour de la plage, sur mon scooter, l'émotion libératrice qui cherchait son chemin depuis le réveil a trouvé son passage. «J'ai vraiment été traité comme de la m..., quand j'étais petit», voilà la phrase incoercible qui est venue, m'a fait sangloter deux minutes dans une sincérité absolue, après quoi j'ai retrouvé une plénitude rare, jusqu'au procédé de même type qui se reproduira sans que je l'attende ou le redoute, un de ces quatre matins. Cette libération, dont j'avais déjà eu des signes avant-coureurs récents, me pousse aujourd'hui à considérer que je peux représenter quelque chose pour les autres. Depuis que les carences affectives remontent et me libèrent à travers de courtes émotions violentes, j'envisage de mieux communiquer mon expérience évolutive au lieu de chercher, comme avant, une certaine autarcie, ou une implication distante. En fait, je suis de plain-pied dans ce genre de réminiscences de plus en plus profondes et de plus en plus refoulées, et je ne cite cette expérience que pour illustrer la découverte des trois verrous, et l'établir, tout en étant convaincu que chacun passera par là, d'une manière ou d'une autre, pour traverser les compulsions génériques qui emprisonnent le soleil intérieur. Je suis remodelé, et tout mon passé ne cesse de remonter.

Vis-à-vis de ma mère, j'ai toujours répondu par l'agression à ses agressions, car elle feignait de me comprendre, et le sentiment d'injustice s'abattait sur moi dès que je parlais avec elle. J'avais toujours l'impression que ma mère était injuste avec moi, et nos disputes étaient tonitruantes, et imitaient celles de mes parents. Cette attitude a duré jusqu'à ce que ma mère soit très âgée, car je n'ai pu m'en défaire qu'une fois qu'elle n'était plus chez elle, mais dans une maison de retraite, où le cycle a été enfin rompu. Mon père avait une très belle voix grave, il chantait très bien, et il se mettait souvent en colère et la maison tremblait. Je fis à peu près la même chose que lui avec ma mère, et sans doute pour les mêmes raisons, je n'ai jamais su faire autre chose que me mettre en colère. J'ai pu souvent partir avant des disputes, mais ma mère avait besoin de conflits, et plus j'ajournais les disputes, plus elle se débrouillait pour me mettre en colère la fois suivante.

En revanche, quand je me déçois moi-même, c'est la troisième stratégie qui se manifeste, et c'est vraiment très éloigné des deux autres. Je ne ferme pas les yeux, je ne m'agresse pas, mais une troisième voie se présente, je me recroqueville en me centrant autour du problème, qui ne me quitte plus. L'univers extérieur s'estompe, et une étrange solitude, qui semble pouvoir tout annuler, se manifeste et rumine la question sous tous les angles.


2 Evoluer ou Régresser


Chaque fois que le moi est séparé de force du non-moi, le moment semble un adversaire, la durée un pouvoir maléfique, et le sentiment des limites surgit avec une précision adéquate, celle que la réflexion en pantoufles au coin du feu évite. Naturellement, si l'on refuse de tirer des leçons de nos limites, le complexe s'installe. L'agressivité devient une seconde nature, ou le recroquevillement, ou la fuite comme si cela n'existait pas. Nous pouvons préférer aiguiser des griffes, fabriquer des carapaces, inventer des ailes abstraites pour s'envoler dans le sens du vent en fuyant un vrai problème, en l'annulant.

L'individu évolutif, au contraire, s'insurge contre la nature animale et ses résurgences pour ne plus dépendre des résistances archaïques, et trouve ensuite le moyen de percevoir le non-moi par une sorte d'adhésion détachée si puissante que les événements traumatiques n'entraîneront que le signal de la violence, du recroquevillement ou de la fuite — mais non leur manifestation.

C'est un art qui prend toute une vie. Avec de la pratique, le signal demeure, qui atteste que nous sommes bien en prise directe avec le non-moi, que le moment relie à la situation. Vulnérables, nous sommes prêts à transformer le contexte pour qu'il s'accorde mieux à ce que nous sommes, ou à lâcher-prise pour le ressentir intégralement. Soit dit en passant, les personnes qui semblent s'abstraire de ces signaux, que strictement rien n'affecte, ont généralement posé elles-mêmes un verrou personnel à la place des trois verrous de la nature. L'impassibilité cultivée et apprise par cœur, fruit d'une volonté de fakir ou d'un acharnement au contrôle, n'est souvent qu'une ruse de l'ego spirituel pour se mettre à l'abri de ce qui peut compromettre sa suprématie — un avatar du recroquevillement, mais plaqué or.

J'affirme donc deux choses pour guider l'alchimie, que les ruses de la nature ne doivent être ni refoulées ni encouragées. Si vous voulez suivre, je vous demande de réfléchir à l'équilibre, d'imaginer que vous êtes funambule. Accepter les signaux de violence, de recroquevillement, de fuite. Ils sont faciles à détecter, puisqu'ils ont une coloration émotionnelle certaine. Les éliminer de force est une erreur, où tombent bien des ascètes volontaires, naïfs quant au pouvoir de la nature de se manifester contre notre approbation. Les accueillir permet de maintenir une relation entièrement ouverte, exacerbée, c'est-à-dire affûtée, avec le Tout. Si l'on en est capable, on se contente du signal et on empêche la nature d'y projeter son énergie animale, c'est-à-dire qu'il faut se désidentifier de la manifestation de force qui veut s'installer, tout en conservant l'information qui a été ainsi recueillie. C'est possible en la regardant de loin, en chien de faïence.


3 Jouer avec les résistances


Si l'énergie de la violence, de la colère, s'empare du cerveau, une bonne technique est de la laisser faire et de prendre patience. Si l'on verbalise la situation, il est nécessaire de le faire au second degré, c'est-à-dire de jouer le personnage, mais sans y croire vraiment. La vraie vieille technique du charabia, qui sauve Mercure de l'amalgame émotionnel. C'est une forme libératoire d'énergie. Crier et bouger, insulter et maudire, mais avec une pointe de sourire qui n'y croit pas, dévier la colère sur un punching-ball pour ne pas l'envoyer sur la personne incriminée, qui en recevrait la charge subtile. Contre la ruse agressivité/violence, beaucoup de systèmes se présentent car le mouvement est clair, du dedans vers le dehors.

Contre la ruse fuite/désimplication, les choses deviennent beaucoup plus compliquées, car le yang a laissé la place au yin, toujours filandreux par rapport au yang. On est saturé de problèmes, et il devient impossible d'avoir envie de s'y confronter, on ne sait plus quoi faire et on en retire presque de la satisfaction, tout en sachant que c'est une mauvaise solution. Il vaut mieux accepter provisoirement. Laisser tomber et aller prendre l'air, reconnaître bien en face qu'on se fiche de tout, respirer quand même en admettant son impuissance, voir que la qualité du moment empêche de répondre sans se culpabiliser. Avouer aux proches que l'on fait la politique de l'autruche, sans qu'on puisse faire autrement, qu'on traverse quelque chose d'étrange. C'est en général dans ces moments-là qu'une personne non avertie se remet à fumer ou à boire, ou appeler une vieille maîtresse. Affronter le non-moi est désespérant, et, en lui tournant le dos, on croit pouvoir s'en sortir en investissant son énergie dans la facilité. On aime perdre son temps, dont on se venge ainsi qu'il ne réunisse plus le moi et le non-moi de manière appropriée. Avec un peu de recul, la négligence, contrefaçon diabolique du lâcher-prise, s'épuise et le besoin de remettre de l'ordre peut refaire surface. Pour remonter la pente, on peut alors se rendre compte, en simulant consciemment la situation évitée, de tous les inconvénients qui accompagnent la cavale. Cela donne la force d'accepter l'obstacle. Cette pratique demande une distance considérable, un dédoublement dans lequel la défaite est acceptée comme une option possible, sans dramatisation. Le masque peut alors tomber, et les périls devenir imaginaires avant de se dissoudre.

Quant au recroquevillement, il plonge dans des forces d'inertie, et inhibe beaucoup de fonctions, aussi est-il difficile de préconiser une stratégie. Quand la rumination s'installe, c'est souvent plus judicieux d'en saisir les formes les moins obscures et de s'y accrocher que de prétendre faire cesser le préjudice, qui reviendrait facilement. Même dans une introspection fermée et décourageante, une ou deux pépites surgissent, quelques éclairs de lumière intempestifs, quelques secondes vraies parmi des heures où l'on se sent passé à la moulinette. On peut ainsi retourner l'énergie archaïque, mais c'est un combat harassant, comme dans le vieil homme et la mer d'Hemingway, où un vieillard résiste toute la nuit sur sa barque à un énorme poisson. Le moi peut être attaqué par Saturne, ou perdre le soleil et Vénus.

On peut essayer de vivre cette humeur comme un bébé qui s'endort, l'accueillir en suçant son pouce, pour carrément aider la régression et la prendre en charge. On peut en profiter pour retrouver des mémoires de déni, de honte, de découragement, et les laisser sortir. Le recroquevillement est gouverné par Saturne, et il ne faut pas s'attendre à en venir à bout facilement. On peut même parfois se demander par où il s'insinue, car aucun fait marquant ne semble l'avoir appelé. Il invite à descendre en soi-même, par les escaliers d'une cave inconnue, à toucher des profondeurs intolérables, à voir pourquoi l'on ne s'aime pas assez pour se demander l'impossible.

Le bricolage évolutif est encore peu expérimenté. Les forces archaïques envahissent le moment, et le moi est mis au défi de ne pas s'y identifier pleinement. L'effet de surprise des attaques diminue pour le guerrier de la lumière, avec la pratique.


4 Libérer le ressentiment


Ces loquets se tournent à notre corps défendant, et ne se déverrouillent que si l'on y tient, dans le fond, et sans s'acharner à les faire sauter par la violence, l'obsession ou la désinvolture, qui sont de la même nature que les processus combattus. Quand l'assombrissement se manifeste, il ne peut toucher que le moi par rapport à lui (soleil) ou bien le contact avec le non-moi (lune), ou les deux à la fois. Une fois que la viscosité habituelle avec l'extérieur est détruite par un conflit, une perte, un manque, un échec, une erreur dite impardonnable, un besoin affamé, l'individu proportionne la responsabilité entre l'autre, le contexte, et lui-même. Les dénis se combinent, mais en général un être humain en cas de crise hiérarchise les objets auxquels il en veut: à lui-même, à une personne donnée, ou à la vie entière. Dans ce cas, le moi commence sa réhabilitation par où cela lui est le moins difficile. Encore faut-il démêler l'amalgame.

Certains s'arc-boutent sur le sentiment fugitif qu'ils ont tout à découvrir de la vie et de ses mystères pour repartir à zéro, et la vie leur sourit à nouveau, contrebalançant les derniers contentieux. D'autres nécessitent de se déterminer par rapport à eux-mêmes, dans le mystère même du moi, ce qui est une opération secrète, parfois difficile, avant de rouvrir les yeux. D'autres enfin doivent d'abord régler la situation avec une personne en particulier, à l'origine d'une crise grave, car ils se seront laissés aller à croire que le relationnel prime sur la liaison au Tout d'un côté et celle à soi-même de l'autre — privilégiant ainsi une position fragile où l'autre est investi de pouvoirs mirobolants. Dans ce cas, sans la réconciliation humaine, les progrès vis-à-vis du Tout et du moi retomberont à l'eau.

Ces trois options sont courantes, et le ressentiment s'affiche nécessairement d'une manière naturelle et prépondérante soit vis-à-vis de soi-même, soit vis-à-vis de l'autre, soit vis-à-vis de la vie dans son ensemble, et si la combinaison des trois est prégnante, il convient de dégager l'univers le moins obscur et de s'y appuyer. Le ressentiment empêche le pardon, et il est donc indispensable de le traquer, voir l'objet où il s'applique, et de le dissoudre.

Une guérison, ou un éveil, est facilité quand l'esprit se réhabilite en même temps vis-à-vis du monde et de lui-même, tout en pardonnant les offenses, bien qu'un ordre de succession adéquat puisse être trouvé en fonction de chacun. Certaines thérapies ou démarches spirituelles sont interminables car les progrès effectués d'un côté sont sapés de l'autre, soit que le moi se renforce sans pour autant éviter que le non-moi ne le menace ou le détruise par des occasions incontrôlables, soit que l'élan et l'amour pour le Tout, bien qu'ils soient puissants, ne parviennent pas à combler une faiblesse caractérielle ou un traumatisme relationnel. Les problèmes les plus profonds reviennent jusqu'à ce qu'ils soient réglés, puisqu'ils se représentent aux jointures les plus faibles entre le sujet et l'objet, le moi et le non-moi, la volonté et le contexte, l'intention et sa manifestation.


5 Identifier tous les conditionnements


Sri Aurobindo parlait de nettoyer l'ashvatta, l'arbre de l'évolution. Je trouvais moi-même la formule jolie, car les premières expériences de ce type qui m'arrivèrent en 1980 furent courtes et gratifiantes, mais il semblerait aujourd'hui que le processus ne puisse pas s'interrompre, et que je gagne des couches de plus en plus profondes de mémoire, qui ne sont pas toujours personnelles d'ailleurs. Je ne suis pas le seul à vivre ce type d'expériences. Et nous sommes tous appelés à faire ce genre de plongée dans le passé, où l'on peut voir remonter également des compulsions propres à la famille dont nous nous serions bien passé d'hériter. Aussi ne peut-on réduire la cartographie évolutive au seul horoscope. Pour certaines personnes qui se sentent parasitées, l'étude de l'arbre généalogique peut être précieuse. Sans entrer dans les détails, certaines lois se dégagent. Les non-dits graves, les secrets familiaux qui comportent une résonance de culpabilité ou de honte peuvent provoquer des mécanismes inconscients, par des voies mystérieuses. La plus grande partie des gènes, inutile pour les savants contemporains, sert peut-être à coder des mémoires dynamiques, ce que laissent entendre des événements étranges, comme l'apparition au même âge, dans une même famille, du côté masculin ou féminin, d'une maladie grave, d'un suicide, sur plusieurs générations. L'astrologie nous renseigne déjà sur des cycles importants qui légitiment les occasions favorables ou défavorables, et la psycho-généalogie et la médecine psychosomatique en ajoutent de nouveaux, à travers des investigations différentes. L'intrication du non-moi s'avère donc toujours de plus en plus ordonnée, rigoureuse, imprescriptible, bien qu'elle possède encore des secrets multiples.

Toute incursion dans le Présent pur, sans fard, sans maques, sans filtre, exerce une pression sur ce qui doit être abandonné, quelle qu'en soit l'origine. Les émotions sont utiles, car elles dégagent des énergies prisonnières dans le subconscient. La compréhension de la mémoire libérée peut avoir lieu pendant l'émotion, mais aussi la précéder ou lui succéder.


6 Le paradigme de l'Alchimie Supramentale



Tout événement nous renvoie simultanément à l'identité
qui se rassemble en une unité
en dépit des accidents, des crises, des troubles, la sphère,
et au polygone et ses faces,
la multiplicité des fonctions psychologiques.

Comme certains métaux changent de forme
à partir seulement d'une variation de température,
nous passons de la sphère au polygone sans nous en apercevoir.
Comme l'expression l'indique, quand «tout roule»,
nous voilà sphères vivant nos différentes facettes psychologiques dans une harmonie d'ensemble naturelle.

L'obstacle qui sépare le moi du non-moi
nous met en face de nous-mêmes,
nous prive momentanément
d'une perception claire de l'autre, du milieu et du tout,
et il transforme cette sphère en polygone,
puis une face surgit, qui s'abouche à l'événement,
et qui monopolise.

Quand l'esprit se subdivise,
on trouve dans ses diffractions premières
les formes archétypiques de la psyché.


7 Les blessures fondamentales


Le désir blessé (mars),
l'amour interdit (vénus),
le rôle décapité (jupiter),
la loi perdue (saturne),
l'image de soi défectueuse (soleil),
la dramatisation compulsive (lune), qui tord et déforme sensibilité et réceptivité,
la tricherie ou culte subjectif (mercure) qui s'arrange avec les faits pour en trouver une interprétation qui met le moi hors de cause.

Cet énoncé demande une certaine réflexion pour être intégré par le mental, après quoi toutes sortes d'investigations et de diagnostics en découlent. Nous enlevons la majuscule du nom des corps célestes pour les caractériser ainsi en tant que fonctions intérieures, ou facettes de l'esprit unique. J'aborde ainsi les thèmes des états d'âme, et les fluctuations de la transparence, les turbulences du principe de viscosité qui nous renseignent sur la manière de capter le présent et le Tout à travers le contexte. Les grands moments de l'esprit sont abordés, ceux qui imposent ou engendrent des modifications consenties ou non, ceux qui combinent le conscient et le subconscient dans un pattern (figure) particulier. Des recherches peuvent être également entreprises dans le but de circonscrire un préjudice à la fonction qui l'affecte, afin d'éviter la contamination des autres tendances. Mais comme l'esprit est homogène, un choc ressemble à un galet jeté dans l'eau: autour de l'impact, des cercles se forment et s'éloignent. Il est pratique de découvrir quelle partie de nous-mêmes a réellement été blessée par un événement, afin de concentrer la souffrance en ce lieu, et de la dégager des autres tendances. Sur le moment, cette solution semble pire, car la souffrance s'accroît en son milieu d'origine, mais bientôt, comme le reste est dégagé, une alternance merveilleuse de bons et mauvais moments remplace l'horreur de la souffrance diffuse et permanente qui empoisonnait toutes les journées ou presque sous le poids de la mémoire traumatique permanente.

Cette pratique demande naturellement qu'on respecte le paradigme selon lequel l'être est pluriel, en tout cas dans l'exercice de la durée, malgré l'apparente homogénéité d'ensemble que produit le discours. La fonction solaire archaïque marche la main dans la main avec la fonction lunaire pour dramatiser des événements qui sont, somme toute, dérisoires. C'est que le moi générique tient à son identité rudimentaire et considère comme des offenses personnelles des incidents de parcours parfaitement conformes à l'ordre des choses, circonscrits à une couleur psychologique seulement.

Les blessures fondamentales apparaissent soit dans les secteurs du septénaire qui ont été profondément négligés, et qui s'actualisent soudain de manière intempestive, soit au contraire dans des secteurs si investis que toute la personnalité s'y est engouffrée puis confondue dans un débordement subjectif aberrant. Un événement grave, tel la goutte qui fait déborder le vase, peut produire l'activité en boucle de la fonction affectée, qui s'empare alors du mental. La thérapie devient nécessaire quand les secteurs d'investissement de l'esprit cohabitent mais sans que la personne ne se sente responsable de leur hiérarchisation et de leurs combinaisons, et que le sujet ne peut plus rien faire contre la possession qui s'impose à lui.

La voie de l'éveil s'attaque carrément à l'essentiel, et propose que tous les secteurs de l'existence soient considérés avec la même attention, la même vigilance, le même amour, et la même circonspection, celle qui empêche la cristallisation. Les idées toutes faites et les comportements mécaniques nous explosent un jour à la figure, et font voler en éclats l'écran que la routine nous avait fait interposer entre ce secteur et nous.


8 Les compulsions types dans le septénaire


Les blessures fondamentales sont en général infligées par un événement grave d'ordre extérieur, tandis que les compulsions psychologiques qui correspondent aux mêmes pouvoirs et corps célestes, proviennent du caractère — de la combinaison astrale et génétique. Ces compulsions sont donc indépendantes des événements, et constituent une manière de les colorer, de toute façon. Elles sont si naturelles que le moi générique s'y habitue et ne cherche guère à les transformer avant qu'elles n'empirent. Elles peuvent tenir lieu de terrain aux blessures proprement dites, voire les appeler par une attitude provocante, ou elles se contentent d'animer l'esprit d'une manière récurrente et chronique. Ces compulsions, si elles sont cultivées, finissent par former des pièges pour les blessures fondamentales, l'attitude d'esprit négative appelant, au cours des cycles astrologiques, l'occasion de matérialiser l'accident qui les renforce. Je les ai représentées dans leur essence, et si cet inventaire semble confiner à l'exagération, c'est dans le but de les identifier facilement.

Qui ne regarde pas en face sa plainte émotionnelle peut s'y engloutir et se prendre tout entier pour elle, en refusant de la distinguer de son identité, et nous avons-là, ni plus ni moins que la maladie (lunaire) de la complaisance, qui caractérise les personnes chez qui le yang est noyé dans le yin. Elles prennent l'habitude de revenir à l'ornière plaintive, et plus elles y reviennent, plus le sillon se creuse. Plus elles s'imaginent que les solutions doivent venir de l'extérieur, plus l'événementiel prend le pas sur l'identité intrinsèque.

Qui cautionne sans arrêt ses désirs, ses réactions et sa violence, finit par développer une pathologie (martienne) qui devient la substance du moi et le phagocyte. L'acte irréparable menace, ce qui caractérise les personnes chez qui le yin est asséché par le yang, ou carrément brûlé par lui. Plus le sillon se creuse, moins la personne supporte que les choses se passent d'une autre manière que ce qu'elle entend, et elle s'épuise entre la colère et l'autorité. Plus l'individu s'imagine que les solutions proviendront de sa manière même de contrôler tous les événements par la force et la détermination, sans jamais en démordre, et plus il sera menaçant pour y parvenir.

Qui ne se soucie pas d'isoler son besoin d'idéal et sa capacité d'amour du reste de son moi peut devenir un être faux et meuble, caractérisé seulement par le besoin de bien faire et de projeter sur tout ce qui lui apparaît le rose et le bleu pale du besoin compulsif d'aimer — sans distinguer pour le moins du monde les objets de sa propre projection. C'est la pathologie idéaliste (vénusienne), dont le sujet affecté s'imagine avoir gagné les rives sublimes de l'amour universel, alors qu'il patauge seulement dans le besoin infantile de tout rendre homogène par l'apprivoisement, la reconnaissance et la séduction. Plus le sillon se creuse, plus la personne y revient en se persuadant «que les choses devraient être autrement», ce qui la privera en fin de course de tout esprit critique véritable, le devrait remplaçant le c'est comme ça. Le yin recouvre tout ce qui est yang. La personne s'imagine que les solutions doivent se mettre en place en douceur, à partir de sa capacité à faire reconnaître ses qualités d'écoute, mais sans rien changer à ce qu'elle entretient vis-à-vis d'elle-même, même si une confrontation difficile s'impose à soi. Elle vit souvent dans le souvenir de personnes exemplaires à qui elle n'a jamais osé déplaire.

Qui invente le réel en forçant l'interprétation des faits, en refusant de les voir tels quels pour les enchevêtrer dans des causes imaginaires et des finalités subjectives, pour ne pas perdre la face et conserver ses prérogatives erronées sans jamais évoluer, peut perdre pied sans s'en rendre compte, vivre dans un verbe de mensonge tout en se donnant le change par l'artifice d'un discours admirablement bien construit. Moins les événements se plient à l'interprétation subjective, plus la personne fabule pour s'en emparer quand même, de la manière qui lui convient. C'est la dérive subjective, (mercurienne), assez courante, imprenable, tant le moi peut confondre voir et interpréter. Plus le sillon se creuse, plus la personne y revient et décrète que le réel est constitué des éléments du monde extérieur qui reçoivent son assentiment, son approbation, tandis que le reste est tout bonnement irréel ou illusoire. L'esprit d'objectivité quittera définitivement la personne, capable par ailleurs de vivre dans une folie sereine, une tour d'ivoire d'où elle ne perçoit plus que les événements qui l'arrangent ou lui correspondent, les autres n'existant plus. Le yin et le yang perdent leurs propriétés et se dissolvent l'un dans l'autre. Le moi finit par ne plus distinguer quand il est passif ou actif. C'est homogène, mais monstrueux. Les réactions ont pris l'habitude de se structurer, et les émotions, les sentiments, et la structure mentale du moi sont confondus. Ces personnes-là sont souvent des forteresses. Elles s'imaginent que les solutions doivent se conformer à ce qu'elles pensent, et trient toutes les situations pour n'en conserver que celles où elles dominent. Elles peuvent en revanche être assez légères, et paraître ouvertes, avec un mental aérien rapide en surface.

Les pathologies de déni (saturniennes) sont fort nombreuses, dans lesquelles le moi élague et détruit, rejette tout ce qui l'encombre, jusqu'à ne conserver du réel et de lui-même que quelques aspects obsessionnels. C'est là que les intégrismes divers prennent leur source, dans un déni supérieur de la réalité, supplantée par quelque puissante structure mentale qui pourfend, condamne, écrase, au nom d'une réalité supérieure à mettre en place. Plus le sillon se creuse, plus la personne qui y revient croit que ses lois devraient avoir pignon sur rue, que ses propres règlements devraient contaminer l'entourage, qu'elle seule aime la vérité. Le yang élimine le yin. Le monde n'est plus qu'un conflit d'autorités. La personne élimine les solutions qui ne viennent pas d'une structuration personnelle rigide, et refuse les compromis, quitte à faire le vide autour d'elle. Elle est amère ou seule, et ne cherche pas, contrairement à l'exemple mercurien, à fabuler et à imaginer. Elle utilise des principes sévères pour se justifier, et ne dispose d'aucune fantaisie. Elle peut être dévorée par un sens critique acéré qui monopolise l'esprit et ne lui révèle que les injustices, les malheurs, les fautes et les erreurs.

Les complexes de la persona (jupitériens), assez sympathiques, sont très répandus dans notre société. Le moi se prend pour ce qu'il représente, s'identifie toujours plus à son rôle, et ne revient que rarement sur son identité propre. Il est avalé par le non-moi, mais semble s'y complaire. Le sujet et sa projection sociale se sont confondus, pour le meilleur et pour le pire, et le moi est prêt à faire des sacrifices mirobolants pour préserver son image, sa carrière, son prestige. Plus le sillon se creuse, plus la personne se prend réellement pour ce qu'elle incarne dans la société, et perd le contact avec les autres aspects d'elle-même, affectifs, structuraux, parfois émotionnels, tandis que le moi ne cherche plus à se distinguer, en tant qu'entité, des événements auxquels il s'identifie. Le yin et le yang ont collaboré mais sur un seul registre, et se sont emparé de l'énergie. La personne croit que toutes les solutions sont d'ordre relationnel, et s'implique difficilement dans une remise en cause de son identité.

Qui ne pense qu'à se séduire soi-même utilise à tour de rôle tous les artifices pour y parvenir, cultive chèrement l'idée de sa propre supériorité qu'il cherche à établir autour de lui jusqu'à trouver des complices prêts à admirer ou obéir, écouter et servir. Le complexe d'inflation du moi (solaire) étant synthétique, il peut se développer à partir de n'importe quelle fonction chargée de le faire, vénus pour les artistes mythomanes, mercure et saturne pour les intellectuels, mars pour les hommes d'action et les sportifs, jupiter pour les notables et dirigeants. Plus le sillon se creuse, plus la personne utilise toute son énergie à conserver la tête haute et sauver la face, par des changements de tactique, de milieu, de partenaires, d'activité. Le yang est paradoxal, car il cherche l'approbation, et le yin n'est plus dévolu qu'à la séduction, perdant au passage l'écoute et la souplesse. La personne s'aime par le ricochet des images positives qu'elle inspire, mais ignore le soleil intérieur.

La compulsion septénaire finit par appeler la blessure, plus grave, mais la blessure peut également se présenter seule, dans un secteur psychologique sain, par la seule occasion, et le sujet s'imagine alors être victime. S'il persévère dans ce sentiment, la blessure provoquera l'apparition de la compulsion correspondante. Si la blessure est rendue au non-moi, la guérison est plus rapide. Le thérapeute, le conseiller, le maître, doit donner des moyens d'exorciser les blessures, et de soigner à l'intérieur les compulsions. Ce sont deux procédures différentes.


9 La main-mise du contexte


La vie nous renvoie parfois une image de nous-mêmes à laquelle nous ne sommes pas préparés, et l'image de soi blessée, tel le reflet du soleil intérieur, brise la coopération des pouvoirs psychologiques. Le sentiment de cohésion aura disparu, remplacé par un manque-à-gagner émotionnel ou physique qui n'est pas toujours traduit en termes mentaux. On peut aussi souffrir sans savoir pourquoi, et ne trouver aucune fonction en cause, mais il s'agit la plupart du temps d'un procédé saturnien profond, qui demande une mobilisation générale du moi vers l'intérieur. Cette révélation nous ramène aux principes traditionnels, la suprématie du Tout sur le moi, l'ambivalence absolue de la durée qui joue autant pour réunir que séparer le moi du non-moi. Le développement outrancier d'une compulsion septénaire peut produire la crise existentielle. Le moi admet confusément que les pouvoirs psychologiques cessent de se tenir par la main et qu'ils ne peuvent plus converger. Des matériaux hétérogènes apparaissent.

Les liens qui unissent les tendances ont pris du jeu.

Le moi ne s'y reconnaît plus alors que c'est l'occasion d'un élargissement de conscience utilisant les incertitudes nouvelles. Sans la peur d'un côté, qui vient d'un passé ancestral, et sans la volonté d'aboutir, qui courtise le futur, il est aisé de vivre la période où les tendances psychologiques prennent du jeu, puisque ce mouvement permet une rectification profonde de l'ordonnancement des énergies psychologiques, figurées par l'horoscope. La plupart des crises proviennent d'un refus d'accepter tous les facteurs dont nous dépendons, ou encore, ce qui revient au même, d'une volonté de contrôle absolue sur les événements.


10 Se libérer des valeurs culturelles


Reconnaître nos limites ne signifie pas qu'on va s'y soumettre, contrairement à ce que véhicule la culture matérialiste et individualiste, bourgeoise, pour laquelle toute question profonde est un atermoiement, et qui veut créer un homme triomphaliste qui n'existe que dans ses propres rêves, un fanfaron cosmique qui réussit tout en courant en ligne droite, «qui va de l'avant». Accepter les champs d'expérience multiples que la vie nous soumet, reconnaître notre habileté particulière dans certains, notre incurie dans d'autres, et apprendre à faire face à cet ensemble de points forts emboîtés dans des points faibles demande justement cette qualité culturellement perdue qu'est le courage, et que les civilisations traditionnelles ont conservée dans leur patrimoine. Si personne de l'entourage ne se prête à encourager, un sage, un ancien, un thérapeute peut montrer que le passage est possible, et réhabiliter l'essentiel — la vision que le moi et le non-moi peuvent redevenir homogènes en découvrant le chemin des métamorphoses nécessaires, (changements décisionnels provenant du renouvellement des motivations). L'éveil et la thérapie permettent tous les deux, avec des procédures parfois différentes, de mieux cerner ce que nous pouvons attendre du non-moi et ce que nous devons attendre de nous-mêmes, en clarifiant la relation entre les deux.


11 Aperçu technique d'Alchimie sur les fonctions psychologiques


Les grands événements, ou encore les virages principaux de l'existence sont répertoriés dans les cartes divinatoires des roms depuis des milliers d'années, dans le symbolisme astrologique, le yi-king, la géomancie, les sephiroth de la kabbale, le tarot transpersonnel. Le principe est à comprendre en profondeur. La succession du temps distribue différents types d'expériences fondamentales qui ne peuvent pas être vécues en même temps avec la même intensité. Selon les époques, quelque chose se détache, l'amour, le travail, la famille, la recherche des valeurs, le besoin d'être utile à d'autres, la quête du sens, la solitude intérieure, la facilité d'ensemble, etc. La durée est le grand pourvoyeur des champs primordiaux où le moi va rencontrer le non-moi en variant le contact et, depuis des milliers d'années, se pose la même question: sommes-nous libres de déterminer le moment où nous particularisons la présence d'un pouvoir psychologique. Les cycles astrologiques indiquent les moments opportuns, mais dans l'alchimie spirituelle, la conscience de tous les pouvoirs se développe simultanément sous l'autorité du soleil.

Développer l'énergie correspondant à mars permet d'accepter de se sentir en danger, ouvre à l'urgence et l'imprévu, et cette fonction est mise en valeur dans l'armée, la police, les associations sportives. L'exercice physique, quel qu'il soit, nourrit et entretient cette tendance. Le développement de la fonction martienne, par un biais ou un autre, aide toujours à la décision, produit les grands sportifs, les amateurs de compétition. Elle est nécessaire aux aventuriers, et permet d'exprimer son ressenti sans crainte. C'est à développer chez les personnes hésitantes, qui taisent ce qu'elles ressentent de crainte de déranger ou d'avoir à se justifier. Atrophiée, elle donne des individus qui évitent tout effort physique et méprisent leurs corps. Surdéveloppée, elle exagère le caractère masculin. La conscience de cette fonction n'est pas si aisée, car c'est un pouvoir dynamique acéré et tranchant, au service du moi et du corps, et qui déchire facilement l'adhérence au non-moi par son caractère combatif, aisément violent, agressif et destructeur. Mars et le désir entretiennent des relations profondes, mais la fonction est beaucoup plus large et monte vers l'initiative, le besoin et la satisfaction d'agir, mais ses qualités d'anticipation sont faibles ou archaïques. C'est un pouvoir du présent.

La fonction vénusienne fait de la réceptivité un outil souple à condition de la développer sans se projeter sans arrêt sur des objets, personnes à aimer, attachements divers au gratifiant, idéalisations inutiles. Cette fonction se développe dans les premières années de mariage et permet de catharterLire le chef d'œuvre incontestable LE CHEMIN LE MOINS FREQUENTE, Scott Peck, les aventures de l'esprit, chez Robert Laffont. l'autre (le mettre à l'intérieur de soi). Elle demande et recherche un ressenti harmonieux et évite les conflits. Le développement de la fonction vénusienne permet «d'arrondir les angles» dans les relations, en acceptant la légitimité d'autres configurations caractérielles que la nôtre. Vécue consciemment, elle n'entraîne pas de mauvais compromis, car elle conserve le goût pour une harmonie supérieure, qui ne se satisfait pas de soumissions, mais vécue inconsciemment le moi se laisse soumettre par ceux qu'il aime. Elle caractérise le musicien, le peintre, l'artiste en général qui développe une écoute profonde du monde et tache de mélanger l'inspiration personnelle avec les mouvements supérieurs qui le traversent. Elle peut s'élever très haut, produire le sentiment vrai de l'amour universel, inconditionnel, indépendant de tout objet, et elle permet ainsi de reconnaître et d'intégrer l'autorité suprême de l'univers, par une soumission sans contrainte faite de gratitude. C'est un pouvoir très élastique, qui traite la durée n'importe comment, avec de forts attachements au passé, au présent, et même à l'avenir, qui peuvent entrer en conflit les uns avec les autres, créant du drame.

Le pouvoir saturnien est difficile à résumer. On peut l'utiliser habilement non pour réduire le monde à ses propres concepts, mais pour en isoler les véritables principes, et en décrire la morphologie. La fonction saturnienne combat les projections émotionnelles, mais en fabrique néanmoins quelques-unes plus subtiles, au nom des principes, de la morale, des valeurs. Elle permet de hiérarchiser, de mettre en ordre. Toutes les activités mentales la développent, mais la réflexion personnelle est indispensable pour en faire un véritable outil. On a toujours affaire à elle d'une manière ou d'une autre, et si on la laisse de côté, elle peut jaillir en force du subconscient et déclencher de nombreux processus de culpabilité propices à amorcer une désidentification. Son pouvoir est de cristalliser rapidement les choses qui ont été rassemblés dans un ordre quelconque, et le fin du fin consiste donc à utiliser Saturne d'une manière fluide, vite renouvelée. On peut construire des systèmes cohérents mais les remettre en question sans arrêt, et gagner ainsi les rives supérieures des ondes saturniennes, profondément rigoureuses et qui décrivent des réalités immuables, à l'abri du contingent. C'est un pouvoir abstrait qui s'essaie à l'intemporalité, privilégiant le long terme au court terme si c'est avantageux, ce qui l'oppose radicalement à mars.

La fonction lunaire est si vaste qu'on ne peut l'aborder sans la restreindre. C'est pour cela qu'en la réduisant au principe de viscosité entre le moi et le non-moi, on synthétise presque toutes ses composantes. Instinctivité, émotivité pure, réactivité émotionnelle, puis sensibilité, attachement primaire à la saveur événementielle, cette fonction travaille pour maintenir le moi dans son milieu de la manière la plus pratique, la plus facile. C'est l'œil de la nature qui craint d'un côté, ressent de l'autre ce que chaque moment apporte de particulier. C'est donc une immense fonction, en positif et négatif. Elle s'occupe de ce qui est proche, c'est une faculté féminine, et la lune représente la mère, parfois la femme. Dans d'autres perspectives, elle distribue la lumière du soleil et représente la croissance. On peut l'associer à la mémoire et à l'inconscient. En bout de chaîne, c'est une fonction difficile à maîtriser car elle présente à l'identité de nombreuses émotions, lui rappelant ainsi qu'elle participe de son milieu et du moment. Elle enracine donc dans le présent, mais également dans l'éphémère. Elle est notre ambassadeur le plus attentif à ce que le non-moi nous apporte comme plaisir ou souffrance, et c'est donc un sens subtil qui ne se détache que très difficilement des apparences, du désir et de l'attente. C'est un pouvoir du passé dans le présent qui peut devenir, après transformation, un pouvoir du présent.

Le soleil est d'une certaine manière son opposé, non l'identité qui ressent, mais celle qui veut, celle qui souhaite, celle pour qui l'avenir sera toujours plus une promesse qu'une menace quoiqu'il puisse se passer. Tandis que la lune nous enracine dans la Terre, la mémoire du monde, la famille, la tribu, le palpable, les cycles de la vie, et finalement dans le contingent, le soleil nous enracine dans le ciel, les choses primordiales que la durée ne saurait ni fournir ni compromettre, les conquêtes spirituelles, la victoire de l'identité immuable sur le monde changeant des apparences, l'accès aux espaces intérieurs que rien ne peut venir troubler de l'extérieur. Le soleil porte d'ailleurs plusieurs noms en sanscrit pour souligner sa symbolique. C'est un pouvoir synthétique qui perpétue le passé triomphal du moi, qui utilise les mémoires victorieuses, mais s'ouvre au présent et à l'avenir par aspiration ou intensité, et qui cherche confusément ce qui échappe à la durée pour fonder l'être. C'est le vrai pouvoir décisionnel, mais les choix se trament en aval dans la conscience générique par la résultante des combinaisons planétaires.

Les deux luminaires doivent se développer conjointement, sinon les caricatures caractérielles apparaissent, soit une personnalité forte et déterminée mais sans sensibilité, qui fait dans le triomphalisme, soit une personnalité meuble, attentive au moment, mais discontinue, velléitaire, trop sensible aux événements, qui feint de s'adapter à tout, mais se perd dans ses plaintes et ses refuges sans rien pouvoir affronter.

Jupiter nous pousse à découvrir notre place comme unité dépendant d'un groupe, tandis que le soleil vise l'unité de la personne pour le moi seul. Il nous permet de nous reconnaître comme membre d'une communauté, pousse au partage des valeurs. C'est une fonction ouverte, contrairement à Saturne que l'on dépeint comme son opposé. La fonction jupitérienne adapte le moi à l'altérité du groupe avec les compromis les plus efficaces. C'est une force socialisante majeure, dynamique, qui ne va pas chercher midi à quatorze heures. L'intelligence jupitérienne est opportuniste, va jusqu'à l'hypocrisie, elle est bienveillante, conformiste, sensible à l'intérêt du groupe. Elle permet de se sentir appartenir à un ensemble humain qu'on soutient et par lequel en échange on se sentira soutenu. Jupiter incite au partage des valeurs collectives et donne envie d'adhérer à des associations où les mêmes prédicats seront utilisés par d'autres. C'est également une force de développement pur, qui peut renforcer les attachements aux objets des sens. C'est un pouvoir intelligent dans la manière de traiter le passé, le présent, et l'avenir, qu'il cherche à concilier, tout en sachant faire des choix opportuns.

Mercure révèle le tourbillon des choses, l'actualité, le renouvellement permanent. C'est une fonction mentale qui investit avec satisfaction les mystères des échanges, des communications, des idées. Mercure favorise l'écriture, le partage intellectuel, le discours oratoire, et peut développer l'amour d'apprendre sans jamais s'arrêter. Il est difficile d'encourager honnêtement la fonction mercurienne, d'un opportunisme plein de ruses, car cette fonction offre ses services à tous, à l'ego comme à l'âme, à l'esprit droit comme à l'esprit faux. Il est difficile d'apprendre sans copier ni imiter, ou de s'affranchir rapidement des modèles. Trop fort, mercure propose des évasions où les solutions sont vues sans être appliquées. Mercure est le pouvoir qui travaille le moins, en principe, pour la conservation du passé. Aussi est-il en prise avec l'imagination, pour le meilleur et pour le pire, ce qui peut compromettre ses capacités d'anticipation. Mais comme peu d'êtres humains en ont une conscience indépendante des autres fonctions, il est presque toujours subordonné à une conservation critique plutôt qu'à la véritable innovation, et plutôt au service d'une dominante ou deux qu'à la disposition entière du moi. En revanche, il sait varier les formes des processus défectueux pour les éprouver jusqu'à leurs limites. Il est tourné vers l'avenir proche, l'abstraction ouverte et volatile, l'information, et peut se prendre à son propre jeu de comprendre pour le plaisir, sans en tirer de conséquences. Bien qu'il soit plein de sagacité, il peut escamoter le présent, mais les deux sentinelles de la nature, la lune et mars, veillent à prévenir ses fuites et ses envolées.

Chaque individu éprouve donc une prédilection particulière pour développer un ou plusieurs mouvements psychologiques, et c'est finalement le soleil intérieur qui doit profiter au mieux du développement, et intégrer au plus profond de la personnalité les qualités mises en œuvre, parfois dans un contexte contingent ou artificiel. L'outrance d'un aspect de la personnalité peut entraîner le moi à se regarder «toujours de la même façon», sans qu'il lui devienne possible de changer son regard. La vie ordinaire tout autant que la médecine nous renseignent sur les fluctuations du moi, les pathologies, les crises événementielles, ou plus grave encore, les crises d'identité qui imposent une désidentification pour laquelle le sujet n'est pas prêt. Notre vie est dirigée par la météorologie subtile de l'ordre et du chaos des flux psychiques entre eux. Si le moi tend vers l'ordre, et qu'il n'y parvient pas, le chaos se manifeste et une division, insurmontable par l'artifice de la volonté, s'inscrit entre les différents masques. Certains événements montrent alors, par le fait de l'accumulation de mémoires, que des déséquilibres se sont formés.

Ceux et celles qui ont une grande activité sexuelle et qui décident de la freiner auront plus de mal à y parvenir que d'autres dont les excès sont moindres (mars/uranus/pluton). Cela peut aller jusqu'à des conflits intérieurs très graves où la personne est dégoûtée de l'acte puis se sent soudain obligée d'y revenir. L'alcool, et les drogues posent la même question de l'addiction (lune/Neptune), soit de la formation «d'une seconde nature» intérieure, quasi autonome, qui entre en conflit avec l'identité centrale. Le tabac est adoré par mercure, c'est la raison pour laquelle il est si difficile de s'en affranchir. Dans le cas des sentiments (vénus), la situation est la même. L'amour sentimental, différent de l'amour universel qui renonce à l'objet, demande à s'investir sur un être. Beaucoup de personnes souffrent davantage que prévu d'une rupture sentimentale, même souhaitée et consentie, comme des pères ou mères sont mangés par leur rôle parental s'il est difficile, l'acteur familial refoulant le moi intrinsèque (lune et saturne). Notre condition cherche à se remplir d'unité, et y parvient par des moyens archaïques comme l'identification affective, l'addiction, la seconde nature obsessionnelle. L'unité est ardemment recherchée par l'espèce, mais avec des moyens ordinaires, embourbés des pulsions de la ménagerie évolutive, de l'animalité qui défend son territoire et notre moi avec des griffes, des carapaces, des capacités de fuir ou de se cacher et de se déguiser, merveilleusement adaptées.

La voie recherche l'unité entre le moi et le Tout, fondée sur une profonde intention de comprendre le Réel et de participer à la merveille de la Conscience, ce qui implique naturellement d'investir l'esprit qui relie le sujet au Tout. La voie prend en compte le besoin d'unité essentiel, qu'elle nourrit et développe, par l'examen de conscience, la remise en question systématique, la méditation, et d'autres protocoles secrets des traditions ou indiqués par les méthodes traditionnelles. Des insights profonds révèlent parfois des mondes immuables où la conscience du moi se repose et se fortifie. Et, depuis ces champs le mouvement lui-même révèle ses propres lois, ses arborescences, ses cycles. Là, la nature se soumet, et l'on peut clamer comme saint Luc, la vérité vous rendra libre. Rester stable demande des changements perpétuels, car rien n'est immobile au sein de l'altérité, le non-moi. Le mouvement et le repos sont liés et non pas contraires. L'ordre et le chaos cohabitent et s'enlacent. Nous souffrons de rechercher une stabilité immobile. La stabilité est dynamique, c'est le secret de la sadhana à l'affût des métamorphoses.

Aparté récréatif


Yin et yang sont sur un bateau.
Yin tombe à l'eau et barbote sans trop se soucier de ne pas savoir nager car elle se dit qu'elle va profiter de l'occasion pour apprendre, et que si elle n'y parvient pas, yang, qui a réponse à tout, viendra la sauver. Mais yin sent trop que l'eau est une chose merveilleuse, et surprise par sa contemplation, elle en oublie de trouver les gestes qui la maintiennent à la surface. Elle sait qu'elle va s'épuiser et couler, et elle attend que Yang vienne à la rescousse. Mais non. Yin coule mais elle est sauvée par une tortue géante qui l'emmène au bord. Rejoint par Yang, Yin s'écrie «heureusement que la tortue est passée, sinon je serais morte !». Yang ne réagit pas. Yin finit par lui demander: pourquoi n'es-tu pas venu me sauver, je suis sûre que tu sais nager toi, ou tu aurais pu rapprocher la barque, fort comme tu es ! - Tu ne me l'as pas demandé, dit yang, la conscience tranquille, or je t'ai bien observé et tu avais cent fois le temps de m'appeler. - Mais cela allait de soi que dans un cas pareil je n'avais pas besoin d'appeler pour que tu viennes à mon secours, non? réplique yin. - Dans ton esprit à toi, certainement, mais moi je m'appelle Yang, et je ne me mêle de rien si l'on ne me le demande pas. J'ai assez à faire avec ce qui me concerne.

Yin et yang sont sur un bateau.

Yang tombe à l'eau. Il ne sait pas si bien nager que cela, et bien qu'il se maintienne en surface, il réalise qu'il n'aime pas cet élément, l'eau, insaisissable, sur lequel on ne peut pas avoir de prise. Il essaie de ne pas bouger pour réfléchir, mais comme il n'a pas trouvé la position ni rempli ses poumons, il voit que ça ne marche pas, et il passe derechef à des mouvements désordonnés. Zut alors, même les chiens savent nager, se dit-il. Il se sent si humilié d'être là impuissant, qu'il ne parvient pas à faire bonne figure. Mais comme il est très fort, il surnage en faisant des tas d'éclaboussures et ne prend pas peur tout de suite. Néanmoins, il ne parvient pas à se diriger vers le bateau, et la rive est encore plus loin. Cela commence à l'agacer. Il fatigue. Il a envie de hurler: «yin, débrouille-toi pour rapprocher le bateau rapidement, espèce d'imbécile», mais avouer qu'il a besoin de yin, ça lui fait mal au cœur, et il se demande s'il ne préfère pas se noyer. Naturellement, Yin n'y tient plus, et a même commencé il y a belle lurette à rapprocher le bateau en dépit du courant avec des efforts insensés, et, finalement, exténuée, Yin parvient à venir avec l'esquif tout près. Dans un sursaut, Yang s'accroche à la barque, à bout de souffle, alors qu'il allait bel et bien couler. Yin s'étonne du silence de Yang. «- Tu ne me remercies pas de t'avoir sauvé?». Yang la regarde avec dédain. «Mon heure n'était pas venue, que veux-tu, tu n'y es pour rien; et puis c'était ton intérêt de me sauver, qu'est-ce que tu deviendrais sans moi?». Yin n'en revient pas, pleurniche un peu et se reprend: «c'est vrai, qu'est-ce que je deviendrais sans toi, mais je t'ai sauvé par amour, pour que tu vives, et non parce que j'ai besoin de toi».

Yang est vexé d'avoir une dette vis-à-vis de yin, alors que yin ne s'attribue même pas le mérite d'avoir sauvé yang, ce qui compte c'est qu'il soit vivant.

Il y a des milliers d'années que yin et yang communiquent à coups de malentendus, mais c'est ce qui assure la marche du monde.


Cinquième partie: Le grand'œuvre Alchimique


Les planètes dansent si le soleil rayonne
et les non s'enchevêtrent à la merci des oui..


1 Dévoiler le réel


L'identité n'est point à acquérir mais à dévoiler, un point capital incompris par l'esprit moderne. La notion que le vrai est recouvert par le faux, l'authentique par l'illusion constitue le paradigme spirituel véritable. L'idée que l'un lutte contre l'autre s'avère en pratique dans les comportements et montre que la nature veut gouverner, par le désir, des juridictions que nous voulons soumettre à une plus haute autorité. Mais en ce qui concerne la morphologie même des choses, la tradition affirme que l'esprit impersonnel, le soi, est en chaque être, recouvert des fourreaux des flux psychiques qui s'élancent, alors qu'il occupe le centre sans que le sujet ne s'en aperçoive. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la plupart des éveillés choisissent l'action, le témoignage. Ils considèrent que c'est naturel de retrouver l'esprit impersonnel recouvert par la nature, ce qui cale leur propagande dans une vision objective. Dans son exercice temporel, en revanche, le moi apparaît bien avec plusieurs visages distincts et particuliers, des masques quand ils s'approprient le moi, avec des contenus inconscients, ou quand ils usurpent d'autres fonctions, en s'appropriant l'espace même de l'esprit.

Ces opérations intérieures sont délicates et subtiles, et les images que nous en donnons servent simplement à se rapprocher du diagnostic, à comprendre l'élasticité des mouvements intérieurs sous la pression des occasions extérieures. Les sept fonctions font naturellement ou mécaniquement bon ménage quand le moi les rassemble sous sa juridiction et parvient à vivre ce qu'il souhaite ou ce qu'il est capable de supporter. La marge de manœuvre est donc très large puisque l'état individuel supporte sans pathologie de grandes variations entre le souhaitable et l'insupportable. Tout le monde vit dans une moyenne où les choses pourraient être bien meilleures ou bien pires sans que cela n'affecte directement le corps. Dans cette économie, les sept fonctions sont des outils de préhension. Les sept mystères peuvent accomplir leur tache avec une efficacité réelle, une compétence sûre, une satisfaction consciente.

Dans la Tradition, les principes sont au nombre de sept, qui sont les dynamiques suffisantes et nécessaires pour exprimer le Tao suprême. Si l'on veut donc utiliser mon système en le croisant avec la tradition chinoise, le sept peut être ramené à trois, une catégorie yin, une catégorie yang, et un pouvoir neutre, mercure. La lune, venus et jupiter ouvrent au non-moi, reconnaissent l'altérité, incorporent le moi dans le non-moi par l'adhésion. Le soleil, mars et saturne, préservent le moi ou utilisent le non-moi sans s'y abandonner, introjectent en quelque sorte le non-moi dans le moi, en l'instrumentalisant par l'action, la volonté, le sentiment d'autonomie.

Le grand bouleversement que Freud a apporté, c'est de découvrir entre l'état sain et la pathologie physique, une gamme extrêmement large de niveaux où la maladie n'apparaît pas sous une forme physique. La psychiatrie aurait pu réduire cette question aux maladies mentales graves, mais il est apparu au vingtième siècle que l'esprit pouvait se mal porter tout en étant soutenu par une constitution physique adéquate. La civilisation moderne n'a pas encore pris toute la mesure de cette découverte, bien que des dizaines de cabinets ouvrent partout leurs portes pour accueillir des êtres qui ne sont pas franchement malades, mais qui sentent un mal-être les envahir. Pour le moment, c'est surtout la chimie qui répond à cette question, avec une panoplie impressionnante de somnifères, neuroleptiques et d'antidépresseurs. Un regard profond s'impose. Le moi ne sait pas, par définition, gérer l'esprit dans toutes les cultures, et la perte des racines traditionnelles contribue largement à créer des maux de société. L'idée que l'individu a des comptes à rendre à l'univers s'est complètement perdue en Occident. Dans la vision supramentale, c'est une situation totalement fausse. Les liens ont été perdus dans les deux directions. Vers la Terre, et vers le Ciel. La preuve en est que la civilisation du profit condamne à brève échéance la vie sur Terre.

La clé de l'évolution est de connaître exactement ce que représente le Tout pour le moi, ce que représente l'autre, ce que le moi représente pour lui-même, avec le miroir plus ou moins fidèle de l'image de soi. L'engagement du moi par rapport à ces trois univers distincts est rarement conscient, et il est même courant qu'on attende d'un des trois univers ce qui ne peut provenir que de l'un des deux autres.

Le réel, le non-moi, est fantasmé en temps que devenir.

L'espèce lui demande des réponses impossibles. Les fonctions yin se dilatent par nature pour être capturées par le non-moi et en tirer des satisfactions en s'y combinant. L'alchimie spirituelle permet de placer les attentes dans les lieux légitimes où la lecture de l'horoscope les situe, et, en premier lieu dans le soleil. C'est là que le moi comprend l'enjeu évolutif, accepte le laboratoire, gouverne le chantier alchimique.


2 Saturne, le gardien su seuil


L'ancienne mélancolie dérive aujourd'hui vers la dépression nerveuse, et provient de la montée de la conscience objective (saturnienne) dans le moi, montée qui inféode les autres pouvoirs planétaires et les régit, jusqu'à ce que l'ensemble du sujet souffre de cette prise de pouvoir hétérogène. En même temps, le sujet ne peut pas faire grand-chose contre: le pouvoir saturnien a toujours fait partie de lui-même, profondément, mais du fond de l'être en quelque sorte, avec le principe d'autorité plus ou moins explicite auquel il se soumet (intérieur ou extérieur).

Le moi ne sait donc pas comment se révolter contre cette subite recrudescence d'activité objective qui sabote les processus des perceptions, et saccage les saveurs subjectives. Vers où que ce soit que le sujet se tourne, les pouvoirs planétaires sont contaminés. Mars ne peut plus agir, vénus ne peut plus créer de valeurs et aimer, mercure parvient seulement à des raisonnements logiques négatifs, jupiter se ratatine, la lune est froissée. Les choses deviennent grises et l'avenir truqué, le sujet ne se reconnaît plus dans sa démission, mais elle lui arrive de l'intérieur, et il est donc obligé de s'y identifier. Autour de la dépression proprement dite, beaucoup de maladies nouvelles apparaissent, gérées par Saturne, dont le but, en quelque sorte, est de hisser la personne à une vision moins fantaisiste du Réel, ou moins conditionnée culturellement, qui pourrait lui permettre de se prendre en charge en tant qu'être. Travailler trop et trouver cela normal finit par produire des rappels à l'ordre passé quarante ans, car l'attention nerveuse et l'énergie vitale saturent d'être toujours projetées à l'extérieur et de ne pas servir le bien-être du corps de l'individu en question. Des pathologies nouvelles apparaissent, mais elles ne sont que la forme la plus extérieure d'une maladie de l'esprit. Sans recourir à un diagnostic subtil, il risque fort d'être difficile de soigner la fatigue chronique, par exemple, nouvelle plaie citadine qui frappe des personnes bien intégrées socialement, mais qui n'ont plus le temps de se découvrir elles-mêmes.

Les astrologues métaphysiciens sont d'accord pour faire de Saturne la meilleure et la pire des choses, la pire si on rejette son pouvoir, la meilleure si l'on respecte son intelligence, qui, qu'on le veuille on non, travaille en conformité avec les principes les plus secrets qui permettent la Manifestation. Voilà pourquoi nous n'en abordons qu'une petite partie, celle qui nous permet d'affirmer que certaines lois, si elles ne sont pas respectées, entraînent des événements non gratifiants, ouverts sur la remise en question. Qu'on bafoue volontairement ou sans le faire exprès les règlements saturniens, là n'est pas la question. Le système fonctionne par lui-même, en amont de nos choix, et par des procédés qui ne sont pas toujours reconnus par la médecine et la science. C'est un pouvoir de fond, sans aucune complaisance, susceptible de révéler soudain la toute puissance de la vie sur ce que nous sommes et auquel on peut attribuer, avec une vue courte, un nombre incalculable de maux. Ce pouvoir possède de multiples manières d'agir à travers notre propre identité, vérité fort désobligeante s'il en fut, et qui n'est finalement acceptée ou perçue que par peu d'êtres humains, ceux qui se lancent dans la quête spirituelle et sont prêts à se soumettre réellement, corps et âme, à un principe supérieur, et ceux qui doivent combattre à l'intérieur d'eux-mêmes, sur un divan, en thérapie, parfois à l'asile.

Cette puissance crée des combinaisons nouvelles aussi bien dans le physique, que dans l'énergétique et le subconscient mental. Le désespoir, l'haleine de la mort, le sentiment de l'inutilité de la vie en général ou de sa propre existence, peuvent venir visiter un être aux prises avec cette énergie objective, qui le structure déjà pour la fin de l'existence. Les manifestations de crises graves sont souvent liées à des cycles astrologiques, et arrivent le plus fréquemment entre quarante et soixante ans, où s'effectue une transition importante.

Par le soleil chaque individu fonde sa propre identité comme plus essentielle que celle de tout autre, mais il reste abouché au non-moi par les forces yin. En cas de conflit, Saturne rabaisse le moi, le juge, l'aligne sur des principes extérieurs, le chamboule dès qu'il défaille, et il présente donc au moi blessé, ou orphelin de lui-même, tous les pères possibles et imaginables, les guides représentatifs de la loi céleste, ou coutumière, ou morale, les soutiens qui pénalisent l'indépendance. La guerre entre le soleil et Saturne annonce l'évolution du moi solaire par la crise. Saturne accusera alors le soleil, synthèse du moi, de ne pas être à la hauteur, tandis que l'astre lumineux intérieur se défend et se trouve des excuses, en employant d'ailleurs toutes les ruses qui consistent à faire parler les autres pouvoirs en sons sens, et à identifier des boucs émissaires. Saturne permet de se distancer de soi-même, de se voir sans complaisance, hors du temps, à travers des enchaînements de significations imparables, d'où résultent les réactions imprévues imposées par ce processus. On ne s'avance guère en prétendant que, dans les tribus réellement primitives, le moi n'a pas encore accès à la fonction saturnienne individuelle. Elle sera vécue passivement, conformément à la mythologie du clan, dans un respect craintif de la loi, du tabou et de l'interdit. Les religions révélées et l'écriture favorisent le développement de la fonction saturnienne individuelle, qui s'élabore toujours par la décantation et l'élagage. La germination de la pensée purement abstraite, et qui s'enchaîne infailliblement en se détachant des impressions, des sensations et des émotions, pour établir un discours au-delà des formes, pour chercher une vérité qui transcende le contexte, telle est l'image appropriée de Saturne.

La différenciation de la fonction solaire et de la fonction saturnienne, voilà ce qui ouvre le passage du moi vers l'individu. Jung a vu que ce processus fait monter l'Ombre, c'est-à-dire que le moi, pour évoluer, devra se confronter à l'archétype du père, trouver la loi en lui-même, se dégager des compulsions génériques. Il est donc probable ou normal de voir monter Saturne en soi quand le soleil intérieur veut partir rejoindre le soleil de Vérité. Saturne ne laisse pas passer à l'étape suivante, si le processus alchimique est superficiel ou incomplet.

Mon expérience me pousse de plus en plus à considérer que les pathologies, même les plus physiques, peuvent s'originer dans l'esprit, c'est-à-dire, provenir d'une relation défectueuse entre le moi et le non-moi, puisque l'esprit coordonne les deux. Il est difficile de départager à partir de quand une crise peut passer de l'état bénin à l'état malin, mais si nous restons confiants dans la qualité adaptative de l'évolution, le mental s'assouplit et accueille des périodes graves et sombres pour transformer l'image de soi, tandis que les plans inférieurs restent en général plus sensibles à l'impact, dans le cœur, les émotions, le corps. La Psychothérapie peut devenir un des chemins privilégiés pour rencontrer la voie de l'éveil, puisqu'elle nécessite de se pencher sur ce que l'on croit être et d'y intervenir, ce qui amènera à la lumière la présence de l'absence de l'éveil. Les crises de conscience sont donc virtuellement des bénédictions, des signaux d'alarme, des appels du Divin pour nous emmener sur le chemin où Il se révèle après nous avoir fait croire qu'Il n'existait pas, le temps de nous faire grandir dans une autonomie factice, où notre yang aura fait ses preuves. L'alchimiste épluche toutes ses croyances, et conserve le yang pour se différencier et nourrir son soleil, mais il est devenu profondément réceptif, et découvre donc à chaque moment toutes sortes d'indices évolutifs. Le grand processus de l'identité de l'immanence et de la transcendance s'accomplit.


3 Accueillir Pluton, s'éveiller par la souffrance


Beaucoup reconnaissent que sans une maladie grave, tel le sida ou le cancer, ils seraient restés toute leur vie dans des ornières psychologiques que la maladie a balayées. Si l'on considère comme Rudhyar que les corps célestes sont des miroirs et qu'ils agissent à partir du moment où on les observe, nous vivons depuis 1930, date de la découverte de Pluton, une évolution accélérée qui exige des mutations profondes où la construction et la destruction ne peuvent que s'enlacer — comme la douleur et le bonheur. L'itinéraire évolutif comporte parfois une terrible souffrance, le moyen par lequel nous pouvons faire un saut remarquable, en abandonnant les ventouses infantiles qui nous abouchent au non-moi d'une part, et en consentant enfin à remonter au soleil intérieur pour modifier les mécanismes de perception, et harmoniser le yin et le yang. En tant que procédure évolutive, la douleur se trouve exactement sur le même plan que le bonheur, le gratifiant. Son statut est d'avertir; elle est seulement un signal d'alarme. D'en bas elle est la pire des choses, car elle peut faire retentir des menaces; d'en haut, elle est un lien avec l'altérité et le non-moi, un principe supérieur à l'indifférence, qui isole le moi du Tout.

Le regard porté sur le mal-être en transforme le ressenti et la signification, et en fin de parcours, la crise se dissout dans un nouvel emploi du temps. Le moment est la nourriture essentielle de l'esprit, et j'insiste donc sur toutes les petites ruptures positives qui peuvent venir s'intercaler dans du malaise permanent. Des moments propres, sains, authentiques, même courts, peuvent donner à l'esprit de nouveaux ordres, et celui-ci peut s'aligner sur ce qu'il reçoit de vraiment clair et net, pour réhabiliter son fonctionnement. Si la lutte est profonde, se contenter des moments purs est une bonne tactique. Accepter de les voir disparaître sans être affecté fait partie de la procédure. Certains passages sont si profonds que les périodes de récupération sont à nouveau suivies de moments difficiles, et l'on peut s'imaginer ne pas progresser. Le lâcher-prise absolu permet de vivre sans dommage des alternances prononcées de périodes régressives et de nouveau souffle. Faire son deuil est une entreprise qui paraît parfois impossible, et c'est la raison pour laquelle les moments de répit peuvent être utilisés comme des leviers, et chargés de l'intention thérapeutique. C'est possible si la sensiblerie lunaire a été brûlée, si le sentiment d'être victime s'est dissous à la caresse du potentiel évolutif, de la foi solaire, si l'attachement vénusien fait place à un amour universel disponible pour une expression sans objet, qui conserve la mémoire de diamant de la personne disparue, si le soleil parvient enfin à s'aimer lui-même et intégrer la perte et la mort dans l'absolu de l'existence. Il n'y a là rien de contraire à un rétablissement définitif, et dès que l'on connaît les énergies saturniennes et plutoniennes, on comprend que leur transformation est un privilège «galactique», une aventure exceptionnelle de la conscience, libérant la matière pour le triomphe de l'Esprit.

La nature n'aime pas la douleur, mais notre être accueille l'intolérable si nécessaire comme preuve concrète de l'engagement sur la voie en termes taoïstes, dans une sadhana ou alchimie, ou encore dans une thérapie réelle. Abolir la souffrance la ravive, puisque ce qui doit être éliminé jusque dans ses racines se débat. Jung, bien qu'il ne représente rien de spirituel à proprement parler (si ce n'est à contrecarrer la théorie sexuelle de Freud), voulait former des individus à faire face au mystère de l'existence, quoiqu'ils puissent en tirer par ailleurs. C'est donc un auteur remarquable si on l'éclaire avec la Tradition, respectueux de la liberté de chacun, soucieux des catégories universelles, et qui a vraiment laissé entendre que l'esprit était facilement malade, ou faible, ou inféodé à des univers qui le manipulaient, comme l'inconscient collectif par exemple. Mais là où Freud voulait que ce ne fût que par des instances inférieures, comme le ça, ou faussement supérieures comme le surmoi, Jung a ouvert la piste transcendantale en laissant entendre que l'être humain pouvait être manipulé également du dessus.

L'homme ne serait plus alors seulement un animal devenu péniblement conscient de lui-même et bourré de mémoires archaïques, mais un dieu amnésique descendu dans la matière pour la transformer. Avec la vision ou théorie de l'être subliminal, Sri Aurobindo nous invite à considérer que nous possédons tous une contrepartie à notre subconscient truffé de mémoires sombres, un supraconscient involué se manifestant quand la mémoire évolutive est nettoyée, ce qui commence en thérapie, se poursuit avec l'éveil, et ne cesse de se confirmer dans des stades plus avancés.

L'Alchimie spirituelle indique le chemin pour libérer l'être subliminal, plus grand que nous et déjà en nous-mêmes, capable de former des souhaits d'une puissance telle qu'ils fléchissent même les lois de la nature, rien n'étant imprescriptible, tout n'étant formé que d'habitudes. Une thérapie holistique peut réveiller l'être subliminal et commencer à produire des états de conscience modifiés, la sensation éphémère mais brûlante d'exister pour ne jamais mourir, le sentiment violent d'être privé de son être ou de jouer à cache-cache avec lui, l'intuition profonde que le moi n'est qu'au début de sa propre expression, comme un simple enfant découvrant le langage, ou encore l'intuition évolutive, qui est une sensation propre au mental quand il a entièrement dépassé le monde de la pensée, et que le cerveau joue son rôle différemment. Nettoyer la mémoire est un but en thérapie, un moyen dans la quête. Laver le passé déverrouille la porte.


4 Transformer l'image de soi


Les fonctions psychologiques prépondérantes se battent pour occuper toujours plus d'espace et écraser davantage les forces fragiles pendant les crises. Les acteurs qui gouvernent veulent imposer leurs stratégies pour gouverner selon des schémas préconçus. Les réceptifs sont trop influençables, suiveurs et versatiles, et préfèrent le laisser-aller à des rectifications artificielles. Les actifs sont trop déterminés et constructifs et évitent le champ de la totalité en cultivant des à priori sur ce qui est utile et sur ce qui ne l'est pas, et en construisant des stratégies si remplies de leur passé et de leurs ambitions qu'elles n'apportent que des modifications, sans changement réel de conscience.

L'image de soi, qui détermine ce que l'on attend de soi et de sa relation au cosmos, peut être trop yin, floue, plastique, sinueuse, versatile, ou trop yang, carrée, faussement précise, arrêtée, caricaturale. La thérapie fonde le moi d'abord, en recherche l'intégrité, et subordonne le non-moi à cette démarche, et le travail qu'elle préconise sur l'image de soi est moins exigeant que dans la voie. La quête, la sadhana impose comme préalable au traitement du moi et de l'image de soi, la transcendance potentielle solaire qui dépend du Tout. Le passage du temps est le seul instructeur exhaustif.


5 Renoncer aux réponses préconçues


Les combinaisons planétaires exigent une méditation profonde sur les pouvoirs de l'esprit puisque par le septénaire et quelques autres critères faciles comme l'intelligence des Eléments, nous voyons l'Un se distribuer en pouvoirs (distincts et donc différents) et se disperser dans l'étendue, en empruntant les turbulences de la durée qui soumet les couleurs, les tendances psychologiques, à des contraintes, des imprévus, des cas de figure inconnus — tout ce qui met le moi en demeure de trouver des solutions qu'il n'a pas à sa disposition dans son inventaire de réponses passées. Tout se joue à ce moment-là, l'enjeu évolutif qui consiste à affronter le non-moi en adaptant ses réponses au coup par coup, par une intuition qui devient une intelligence supérieure, ou bien la régression historique, qui consiste à ne fournir que des réponses déjà trouvées à des problèmes nouveaux. En suivant le principe de Lao-Tseu: Obscurcis ce qui est sombre pour trouver l'origine subtile, nous plions le genou devant l'immense réalité qui nous a créée et qui nous dépasse. Nous sentons que nous devons notre existence elle-même à un mystère suprême et insondable, et cette sensation offre l'humilité nécessaire pour accepter l'aléatoire, l'indéterminé, le provisoire. Nous acceptons l'exigence évolutive symbolisée par un engagement intense vers la lumière de l'Esprit. Evoquer les difficultés de la réalisation ou même seulement d'une psychothérapie réussie permet de définir les conditions nécessaires à leur réussite éventuelle.


6 Les stratégies dominantes et leurs parades évolutives


En des circonstances particulières, un événement fait ressortir la structure profonde d'un individu. Nous nous enfonçons alors encore plus bas dans la main-mise de la nature, puisqu'elle finit par révéler la structure dominante du moi. Les révélateurs sortent de la norme et se présentent sous forme d'occasions extrêmes, épreuves terribles, chocs, maladies, ou au contraire période exceptionnelle de chance où une euphorie s'installe par une sorte d'excès de bonheur à gérer. Dans les moments rares de coïncidence extrême avec le non-moi ou au contraire de conflit grave, la dominante s'impose et entraîne le moi à se montrer sous un jour profond où se mélangent les compulsions et les talents. J'aborde à nouveau la question du mode répétitif sous un angle nouveau, et invite le lecteur à se retrouver dans une des catégories suivantes, ou dans une combinaison.

Les affectifs peuvent vouloir tout réduire à des souhaits et des sentiments, et s'évertuer à résoudre leurs problèmes avec encore plus de souhaits et de sentiments, qu'on aura pris la peine de modifier. C'est une stratégie catastrophique si l'origine de leur mal-être vient de la tendance affective, blessée, qui s'expose enfin dans sa nudité, et qui ne peut pas se racheter toute seule, par une simple substitution d'objet. (Travailler sur le moi, lâcher le non-moi, libérer l'image de soi du regard de l'autre).

Les pragmatiques s'acharnent à des réalisations concrètes, et peuvent peiner à comprendre qu'une transformation provienne d'autre chose qu'un acte, qu'un fait, qu'une procédure. Même s'ils sont bloqués dans la vie à cause de l'hyperactivité par exemple, ou de leur manque de vie subjective, ils voudront encore s'en tirer avec la même stratégie que celle qui les a mis dans l'embarras, une pratique, une procédure chargée de résoudre magiquement leur problème, sans aller voir en profondeur l'attitude matérialiste qui les a plongés dans un mal-être, par négligence du ressenti. Une véritable détermination intérieure, informelle, vigilante, ancrée, serait la bienvenue, mais ils la jugent impossible ou inadéquate, et veulent des faits là où seul le travail intérieur indique l'issue.

(Travailler sur le moi, lâcher le comportement et l'idée de réussir, admettre la part du chaos qui complète l'ordre du non-moi, découvrir le soleil intérieur).

Les rationalistes ramènent leurs stratégies à des méthodes et ne savent pas toujours tirer la leçon du ressenti, qui les embarrasse, les émotions étant souvent incontrôlables. Ils veulent s'en tirer en mettant de côté les éléments qui ne s'intègrent pas dans leur vision personnelle, vision qu'ils travaillent à la perfection en évitant toujours les mêmes angles morts. Ils cherchent l'issue sur la carte et non sur le territoire. Ils sont prêts à faire de nombreux sacrifices pour résoudre une situation en y appliquant leur logique étroite, et ils manquent de prendre en compte leur propre yin.

(Accepter que le non-moi soit chaotique, élargir le moi, abandonner la volonté de contrôle, ne pas refouler les émotions ni en avoir honte, libérer les émotions du passé, accueillir l'incertitude calmement).

Les émotifs sont rivés à des sensations harmonieuses et veulent changer, mais à condition de ne pas souffrir, ce qui est la plupart du temps franchement incompatible. Ils attendent des caresses, et, s'ils ne les trouvent pas, caressent l'espoir de s'en sortir miraculeusement, ou par l'intermédiaire d'un autre (le petit remorqueur). Ils refusent les difficultés même si elles sont nécessaires. (Transformer le sentiment d'être victime, rechercher une image de soi indépendante des circonstances).

Les «psychiques» font confiance à des intuitions et à des rêves, à des projets et à des élans, et ne veulent agir que par inspiration et sans discipline, ce qui est insuffisant. Ils n'ont pas de critère décisionnel, et naviguent dans un registre émotionnel large, qu'ils étendent encore à merveille pendant la crise, et savent passer du rire aux larmes dans la même journée sans s'en affecter. Mais ils redoutent d'avoir à se structurer eux-mêmes, ce qui est louable d'un certain point de vue. En laissant faire, ils laissent le combat ouvert entre la Nature et l'évolution divine, et prennent des risques considérables. Forger des structures, même provisoires, pour unir le moi et le non-moi, distinguer le moi stable des inspirations et des élans).


7 Récapitulation du travail intérieur


Le moi dépend des fonctions psychologiques qui agissent chacune conformément à sa nature, aussi sûrement que les orbites des planètes dépendent des relations de l'ensemble, et des masses des autres, pour tourner en équilibre autour du soleil sans s'écraser vers lui, ou se perdre hors du système solaire. Aussi, dès que le moi reste accroché à une facette, dès qu'un problème se répète et absorbe le flux psychique, il n'est plus la sphère — telle une goutte de mercure qui roule au cours de la pente sans se soucier de rien, mais devient le polygone. La face qui s'abouche au réel, au Tout, s'empare du moment et le monopolise avec trouble. Le système solaire fonctionne lui aussi comme un tout unique, tel le moi qui s'écartèle puis revient au centre. Dans l'état de santé, chacune des fonctions ne possède qu'une autonomie toute relative, mais elle peut néanmoins être excessive par complaisance ou au contraire déficiente, si la fonction a été cadenassée par la nature après avoir été blessée lors de son exercice. En suivant le septénaire, il est possible de déterminer les risques probables, de comprendre le passage de la sphère au polygone comme une propriété même de l'esprit, qu'il vaut mieux suivre où il nous emmène que contrôler en vain.

Le désir et l'initiative peuvent se retirer du moi après qu'on aura pris une décision catastrophique. Le besoin d'amour à projeter sur l'autre ou à éprouver inconditionnellement pour la vie et tous les êtres peut ne jamais revenir après une éducation manquée, un échec sentimental ou un deuil qui semble particulièrement injuste. La sensibilité peut se murer après une période de souffrance ininterrompue et la dureté de caractère remplacer la spontanéité. Une humiliation profonde, un échec, peut paralyser jupiter et pousser l'individu à se désocialiser ou blesser gravement soleil, et faire abandonner sa volonté d'être unique au moi, d'être ce qu'il est. Faire n'importe quoi ou devenir intégriste sont deux formes de réaction saturnienne à des chocs qui auront brisé la fonction de structuration des valeurs. Un échec scolaire ou professionnel peut blesser mercure et détourner le sujet de la lecture, de la réflexion, de l'intelligence, du besoin de communiquer correctement. Les événements laissent des traces subconscientes. Une éducation avec trop ou pas assez d'autorité dérive la fonction saturnienne, trop ou pas assez d'amour dérive la fonction vénusienne, trop ou pas assez d'échanges verbaux dérive la fonction mercurienne (représentation mentale), trop ou pas assez de sécurité dérive la fonction jupitérienne, trop ou pas assez de contacts physiques en bas âge dérive la fonction lunaire.

Le retour sur le passé se manifeste par des émotions intempestives involontaires, libératrices, qui restituent la fonction authentique. Les crises et les pathologies profondes sont des procédures vivantes et organisées, quasi autonomes, destinées à nous faire lâcher du lest, de force, puisque de gré c'est impossible. La maladie est souvent une procédure de sauvetage, mais à partir de critères que nous avons toutes les peines du monde à identifier, puisque la forme et le fond sont opposés. Certaines pathologies sont des garde-fous, d'autres des rappels à l'ordre, mais toutes sont le tremplin d'une identité déconditionnée. La nature se moque de notre vision du monde, et elle s'amuse à nous détruire ou à nous en faire changer. Les réponses rétrogrades, qui bloquent l'évolution, découlent des grands préjudices qui imposent un des trois modes de traitement archaïques, recroquevillement, attaque, fuite, et cousent ainsi le moi blessé au non-moi par un comportement donné. Un éventail de réponses est alors disponible, avec quatre modalités.

La culpabilité envahissante (Saturne)
ou le laisser-aller (lune),
ou la précipitation et fuite dans l'action (mars),
ou le refuge dans un monde imaginaire idéalisé (venus).
Ces quatre types de réponses inadéquates, très primitives et profondes, correspondent en astrologie aux planètes maîtresses des angles, cette croix qui détermine les espaces fondamentaux du thème archétype. La culpabilité accompagne naturellement le recroquevillement, mais elle s'accommode de l'attaque, et cherche à se cacher dans la désimplication. (Saturne compulsif).
Le laisser-aller est conforme à la fuite ou désimplication, qu'il ratifie glorieusement, mais décore facilement l'attaque, surtout chez les femmes agressives, et accompagne avec bonheur le recroquevillement. (Lune compulsive).
La fuite dans l'action emboîte le plus souvent le pas à l'attaque et à la violence, qui lui sont parfaitement conformes, mais elle s'acoquine peu avec le recroquevillement (ou alors sous forme compulsive et rare de compensation), tandis qu'elle peut en revanche servir magistralement bien la désimplication en la meublant d'artifices. (Mars compulsif).
Le refuge dans la vie imaginaire (idéale) est parfaitement conforme à la désimplication, qu'elle nourrit d'attentes, mais se retrouve sans peine associée à une politique d'attaque dans un milieu fermé, l'individu passant de la léthargie à la violence sans moyen terme, et elle adoucit parfois un recroquevillement intense. (Venus compulsive).

Ces quatre tactiques rétrogrades combinées au ternaire compulsif primordial donnent douze cas de figure fondamentaux — des procédés génériques de refus évolutif, dont la puissance immémoriale se fait sentir dans toute sadhana ou psychothérapie. Ces mélanges combinent une attitude émotionnelle, matérielle et physique en quelque sorte, l'attaque ou violence, la fuite ou désimplication, ou le recroquillement, avec une attitude d'esprit, quelque chose de plus abstrait, de mental, qui autorise et cautionne les attitudes émotionnelles. Cette collaboration subtile de forces recherche une sorte d'harmonisation perverse du mental et du comportement, qui devient homogène dans la dérive pernicieuse et malsaine. Le moi en est à la fois la victime et l'auteur.

Aparté lyrique et Conclusion


Notre chapeau de magicien c'est notre vision du monde, et c'est à nous de la construire et de la détruire en permanence. Ce travail accompagne et complète la réflexion sur l'image de soi. Quant à la baguette magique, vous aurez compris que c'est l'imagination, qui comble les brèches de la réalité quand elle se fend, car on ne peut vivre sans une représentation de la réalité. Quand le chapeau de magicien est cabossé et troué, on n'arrive pas à le jeter et à en fabriquer un autre. La crise devrait permettre de s'en débarrasser, elle est faite pour cela d'un point de vue évolutif, pour casser les cadres et ouvrir vers l'étendue, mais comme c'est tout ce qui nous reste, ce vieux chapeau mité, on le conserve quand même. On y tient autant qu'à son nounours de petit enfant. Alors on le rapièce avec des illusions supérieures, ce qui vaut mieux que rien du tout. Je me permets de donner des outils de transformation pour faciliter le travail et éviter les deux pièges majeurs.

Aller trop dans le dedans, se barricader dans l'ascèse, sans savoir revenir à la viscosité de la synchronicité, principe d'adhésion du moi au non-moi qui fait de chaque journée un oracle permanent tant les indices foisonnent.

Aller trop vers le non-moi, s'y perdre amoureusement comme dans une passion, sans savoir retrouver le moi indépendant, conscient, présent, quand la synchronicité ne fonctionne plus, et qu'il faut vraiment savoir qui l'on est, sans les objets investis, sans les dépendances, sans les béquilles, sans les cartes topographiques de la vérité. La compréhension de l'altérité s'effectue mal si la compréhension de l'identité est embryonnaire. Nous n'aimons pas nos enfants si nous ne sommes pas assez nous-mêmes pour accepter qu'ils ne nous ressemblent pas, nous ne comprenons pas notre conjoint auquel nous préférons l'image fabriquée par nos attachements et qui nous fournit, plus que l'être réel, une nourriture à notre propre identité. Nous refusons l'altérité et ne recherchons que l'identique. Nous nous acharnons au monde-miroir, c'est-à-dire au monde famille, au monde tribu, au monde nombril. Nous savons partager à merveille ce qui est identique, mais nous ne savons pas partager les différences.

Accepter la différence, accueillir ce qui ne nous convient pas, adopter l'inadmissible, tel est le procédé qui mène à la reconnaissance du soi: la légitimité absolue du Réel. Evoluer exige de voir de plus près son chapeau de magicien, qui vient du grand-père ou de je ne sais où, et demande de se pencher sur l'image de soi. Travailler sur le chapeau de magicien concerne la préhension du non-moi, son contact, sa saveur, tandis que le travail sur l'image de soi concerne en premier lieu la recherche de l'identité.

Si l'on veut poursuivre l'investigation évolutive, interroger le Divin sur nous-mêmes, plonger notre sadhana, notre ascèse, notre alchimie dans le mystère, alors une réflexion sur le cosmos s'impose, une consécration surgit pour seconder l'image de soi dans la quête d'absolu. L'accélération évolutive exerce sur la conscience humaine une pression. L'intuition holistique, c'est-à-dire le sentiment de participer à la vie, au cosmos, par-delà en quelque sorte de la fonction familiale et sociale, ne peut que s'accroître naturellement maintenant que la contagion supramentale continue, et que des énergies puissantes contribuent à changer les conditions subtiles sur Terre.

Un air différent souffle déjà depuis 1967. Les murs vont tomber. Le temps est venu pour que le moi se penche sur lui-même, et accorde à ses modes de perception une attention soutenue, directe, spontanée, comme il est nécessaire qu'il prenne acte d'une insatisfaction profonde que nul objet ne peut combler.
Qu'Indra vous révèle par où toutes les choses sont traversées par le même sens.


Natarajan, Janvier 2004.